Peurs et fantasmes
Vita & Virginia aimerait faire dialoguer le siècle des deux femmes de lettres avec le nôtre, de la même façon qu’Orlando (Sally Potter, 1992) s’emparait du roman de même nom de Virginia Woolf...
le 6 mars 2021
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Plusieurs choses intéressantes et stimulantes, dans ce film qui n'est certes pas majeur, mais assurément soigné, en témoignent certaines images particulièrement réussies, baignées de lumières caressantes. La première, c'est le portrait d'une société anglaise intellectuelle qui tente de se défaire des carcans conservateurs et de vivre en dehors de l'hypocrisie habituelle : au lieu de réprimer l'homosexualité, comme continuait de le réclamer une bonne partie de la société (incarnée ici par une Isabella Rosselini corsetée et peu amène), on préférait composer avec elle, tout en tentant de sauver les apparences pour continuer à profiter d'avantages de classe que d'autres utilisaient comme une monnaie d'échange, donc comme un mode de chantage systématique : si tu ne vis pas comme nous, on te coupe les vivres. Il fallait du courage pour s'affranchir des codes, ou de la malice pour retourner leur hypocrisie contre leurs tenants. In fine, c'est également une forme de mensonge, mais il permettait de sauvegarder une organisation sociale profondément inégalitaire qui aurait mis les homos en marge et les aurait plongés dans la misère. Au sein donc de ces petits cercles d'intellectuels libertaires, on pouvait créer, s'amuser et vivre selon son gré. Le film a l'honnêteté de montrer que, dans ces arrangements entre gentlemen, quelqu'un finissait toujours par souffrir. Et c'est l'un des thèmes plutôt intéressants de cette histoire : le désir de possession qui accompagne le sentiment amoureux, dont quasiment personne ne parvient à se défaire, aussi libre-penseur qu'on soit. La fin du film vire quasiment à la parabole sur le renoncement, mais quand il s'accompagne d'une sublimation par la création artistique, il gagne quelques galons non négligeables. Des thèmes fertiles, donc, pour cette histoire qui dépasse du cadre de l'histoire d'amour balisée, sans pour autant en éviter tous les écueils. Par contre, la grande force de ce film, c'est le choix de l'actrice qui incarne Virginia Woolf. Elizabeth Debicki fait là un travail remarquable : elle campe avec un calme olympien cette femme torturée, dont les tourments suintent à toutes les coutures. Pas évident de conjuguer un certain aplomb et une telle fragilité. Des plans fixes sur les visages en pleine face des deux protagonistes, avec le point fait sur le bout de leur nez et donc le reste de leur visage dans une légère brume, pourraient sembler artificiels s'ils ne lui donnaient pas l'occasion de briller par sa simple présence et sa densité. L'inconvénient, c'est qu'elle fait de l'ombre à sa partenaire, mais cela finit par nourrir également l'histoire, qui était celle de leur inégalité, finalement. On peut regretter une fin un peu plate, qui appelle l'un de ces petits panneaux explicatifs dont on sait qu'ils dénoncent à coup sûr une faiblesse de la narration, puisque des choses importantes sont laissées de côté et ne vont pas de soi. Mais, globalement, le film remplit son office, et laisse même quelques souvenirs tenaces, qui sont plutôt bon signe en matière de fiction.
Créée
le 11 nov. 2020
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