Entre Un tramway nommé Désir et Sur les Quais, le duo Kazan-Brando s’offre un détour géographique et historique : ce sera la Révolution mexicaine et le destin d’une icône populaire. L’occasion pour Brando de mettre à exécution sa méthode, se fondant sous les traits du personnage historique, et pour le réalisateur d’interroger la figure de la légende.
C’est principalement le point de rencontre entre la dimension nationale et la destinée individuelle qui intéresse Kazan : Zapata est une extraction brute du peuple, comme en atteste cette scène où il apparait dans un groupe de paysans face au Président Diaz, fondu dans la masse avant que celle-ci ne s’étiole pour en faire le dernier résistant osant réellement faire face au pouvoir. Il est primordial pour Kazan de façonner longuement le portrait d’un homme de la terre, rustre et analphabète, séducteur sans afféterie lors de cette belle demande de mariage forcé dans une église, face à une dulcinée qui lui tient tête et par conséquent mérite encore plus l’attention du prétendant, et doté d’une force de volonté qui va charrier à sa suite un pays entier.
L’élan construit toute la dynamique de la première partie : il semble irrépressible, parle par les armes et le maquis, un système de communication spontané qui correspond à la personnalité de Zapata. Raison pour laquelle sa première victoire va le déstabiliser. Comme en amour, c’est un homme qui craint la douceur. Pragmatique, énergique, sans concession, il avoue lui-même : « I don’t understand peace ». Le temps venu des négociations avec le nouvel interlocuteur crispe une situation qui, officiellement, tenait de la libération, et suppose des concessions que le rebelle n’est pas prêt à faire car on ne parvient pas à le faire basculer du côté des nantis.
Viva Zapata refuse, à l’aune de son personnage, l’écriture officielle de l’Histoire, qui ne serait jouée que par des figures et des symboles, alors qu’elle est en réalité manœuvrée par des êtres humains qui changent, trahissent, meurent et se compromettent. La paix était un rêve, elle doit désormais se construire et se vivre. Pour le protagoniste, elle n’a jamais existé sans la violence. Pour son entourage, elle pourrait se conquérir par des entorses aux idéaux. Un entre-deux dans lequel s’engouffreront les plus malins, et un processus dans lequel, comme toujours, la grande masse silencieuse du peuple aura tout à perdre après les promesses de lendemains meilleurs.
A strong people is the only lasting strength, affirmera le héros qui ne déviera jamais de son idéal, aussi incompatible soit-il avec la realpolitik. La force de Kazan, en s’approchant du mythe, est d’avoir su traquer chez lui sa force et son échec face à la réalité sociale, historique, et pour tout dire, humaine. Et de comprendre que devenir une légende (He’s in the moutains, dit-on de lui pour lui conférer une forme d’immortalité) peut certes aider ceux qui croient en elle, mais révèle aussi sa part de fiction et la violence tragique du réel qui la met à l’épreuve.
(7.5/10)