Le film d’épouvante, et d’une manière plus large, la fiction, fonctionne toujours sur le principe d’une excroissance : l’hyperbolisation d’un phénomène sur lequel on ferait un zoom pour en déceler le potentiel anxiogène ou exaltant.


Dans Vivarium, c’est l’uniformisation des banlieues qui semble le point de départ : un couple random (le choix des comédiens Imogen Poots et Jesse Eisenberg est en cela parfait) visite un lotissement où les maisons sont construites en séries, et se retrouve contraint à y résider, le lieu s’avérant un étrange labyrinthe duquel il est impossible de sortir. L’esthétique très lisse, parodie des plaquettes publicitaires, évoque cette imagerie déjà exploitée dans The Truman Show, d’autant qu’on comprend bien vite la dimension circulaire et fermée du complexe, qui semble sous cloche pour d’obsucrs motifs.


Passée la panique initiale, un brin molle, et semblant sous-entendre une sorte d’acceptation passive des jeunes tourtereaux, le temps de la résidence est probablement le moment le mieux écrit du récit. L’arrivée d’un enfant occasionne une description assez cauchemardesque de la parentalité, sans qu’on puisse jamais réellement déterminé ce qui relève du récit paranormal (ce gamin étant très étrange) ou de la métaphore de ce que c’est que de réellement se confronter à cet être tyrannique qui signe bien souvent la fin du couple. Même si la révolte est toujours là (amusante image d’un doigt d’honneur familial en guise de bonjour, ou de la rengaine « I’m not your fucking mother »), les habitudes s’installent, et là encore, renvoie davantage à une satire socio-familiale qu’à une fable SF : l’homme se trouve une tâche pour délaisser le domicile, la femme répond malgré elle à ses instincts maternels, alimentant ironiquement la machination dans laquelle on les a enfermés.


La suite est plus laborieuse : le récit peine à atteindre les 90 minutes, et les indices qu’on dissémine sur les intentions ou les créatures derrière ce système n’apportent pas grand-chose, tout comme cette exploration finale des lieux, qui pense révéler des éléments qu’on avait compris depuis fort longtemps. Le développement a au moins le mérite de ne pas tomber dans l’automatisme attendu sur le renversement du système par des protagonistes auxquels on se serait attachés, et la dégénérescence du couple dans ce décor en plastique évoquant directement l’inquiétante étrangeté des tableaux de Magritte, évoquant son manque du bruit, du goût, de l’odeur ou de la sensation du vent parvient à donner un peu d’incarnation à cette fable noire, dont l’efficacité se limite à un épisode d’une série qui serait vite noyé par d’autres. Quand on pense que c’est précisément le sujet du film que cette construction par réplication jusqu’à épuisement des hôtes, la comparaison n’est pas dénuée de cruelle ironie.

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Carcéral, architecture et Vu en 2020

Créée

le 1 avr. 2020

Critique lue 8.6K fois

65 j'aime

6 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 8.6K fois

65
6

D'autres avis sur Vivarium

Vivarium
MadMonkey
4

Un film sans âme

Je me souviens qu'avec quelques amis nous nous étions fait la remarque que l'on était enfin face à une bonne bande-annonce : une BA qui n'en dit pas trop, évoque juste les thèmes et le début du film...

le 12 mars 2020

76 j'aime

15

Vivarium
Sergent_Pepper
6

Home cheat home

Le film d’épouvante, et d’une manière plus large, la fiction, fonctionne toujours sur le principe d’une excroissance : l’hyperbolisation d’un phénomène sur lequel on ferait un zoom pour en déceler le...

le 1 avr. 2020

65 j'aime

6

Vivarium
Anyore
5

Les Heureux Propriétaires

Il y a des films qui résistent étrangement à l’appréciation. Des films que l’on pourrait aimer, qui semblent relever d’intéressantes réflexions, de pertinentes questions… On pourrait les apprécier...

le 16 avr. 2020

55 j'aime

4

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53