J'ai dansé avec les loups dans les années 90, avec Kevin Costner, alors le loup au cinéma, ça me connaît ! Il fallait bien ce magnifique documentaire pour me persuader que non, finalement, rien à voir, c'est tout autre chose, bien moins romantique mais tout aussi romanesque, le loup. Surtout au XXIème siècle en France, quand il faut tout réinterroger sans cesse, réévaluer, remettre en question, rediscuter indéfiniment pour finalement en revenir aux fondamentaux, bien des fois, à contre-courant. En selle donc pour cette querelle envenimée entre les éleveurs de troupeaux décimés et les défenseurs de Chaussettes. Une querelle comme on les aime chez nous, bavarde, ardente, violente et parfois dégueulasse, parce que rien n'arrête un Français quand il est énervé et sûr de son bon droit, c'est-à-dire 90% de son temps éveillé. On rigole toujours bien, chez nous, avec nos vignettes de nuages de poussière dont émergent des poings et des pieds. Rien à voir avec le stoïcisme suisse, par exemple. Là bas, on ne se tape pas dessus et on coexiste paisiblement avec le loup, en s'organisant. Mais nous, tu parles, évidemment que non. Nous, on tue des spécimens protégés et on les pend devant les mairies. C'est comme ça, chez nous. Ah, les joyeux drilles ! Sarcasme mis à part, ça fait un bien fou d'écouter le réalisateur commenter le plus sobrement possible ses découvertes, tant du côté des meutes alpines que de celui des agriculteurs inquiets. Qui redeviennent ce qu'ils sont, et non plus des ennemis farouches arc-boutés dans un bras-de-fer délétère. A force d'observation patiente, Jean-Michel Bertrand parvient à constater que les populations se régulent toutes seules quand les territoires deviennent trop exigus. Pas la peine de flinguer à tout va, non, les loups ne vont pas pulluler. Et en voyageant aux 4 coins de l'Europe, là où le loup n'a jamais disparu, il réussit également à voir comment les éleveurs peuvent se protéger de la plupart des attaques. Tout est question de territoire : si l'homme parvient à défendre le sien, le loup se tient à l'écart. Mais il faut s'en donner la peine, et je retiens la parole d'un jeune berger qui remet en question notre consommation maladive d'une viande de mauvaise qualité et notre relation au vivant. Lui souffre d'emmener ses bêtes à abattre, à chaque fois, quand nous, on ouvre une barquette de viande sans jamais plus visualiser l'animal qui en est à l'origine. Qui a le comportement fautif, dans cette affaire ? Le loup ou le consommateur ? Alors, il n'est pas tant question de culpabiliser que de remettre à plat ce qui peut l'être. Les chiens de berger sont énormes et bouffent des palettes de croquettes acheminées par hélicoptère... c'est pas un peu contre-productif aussi, ça ? Voilà les questions que soulève cette méditation en (superbes) images, des questions qui doivent être posées au lieu de barrir des slogans tout faits. En prime, observer la vie simple, au plus près de la nature, du réalisateur qui habite une cabane sommaire à flanc de falaise et ne manque malgré tout de rien, ça vaut tous les stages de survie du monde. Il fait son génépi et sa soupe d'orties, fait sécher ses champignons en regardant le soleil se coucher sur le massif montagneux, et, d'un coup, tout a du sens. Cet homme au milieu des loups, vivant au rythme de la forêt, remet les choses dans leur véritable perspective, celle qui n'habite ni C8 ni Tiktok. En tout cas, moi, ça me parle davantage et je recommande chaudement ce documentaire contemplatif qui nous rapproche de notre vraie nature en nous rendant la Nature accessible. Sans parler de toutes les métaphores possibles en matière de prédation et de panique collective, qu'on peut étendre à tant d'autres domaines de l'activité humaine...