La vision qu’entretient Kurosawa de l’humanité est depuis les débuts de sa filmographie très proche de celle de Dostoïevski, et ce nouvel opus ne déroge pas à ses obsessions. Toujours ancrée dans l’histoire sacrificielle du Japon, l’intrigue évoque directement le traumatisme de la bombe A sur la population, à travers un patriarche, riche industriel qui décide, par crainte de l’atome, d’émigrer avec toute sa famille au Brésil pour éviter les radiations. Il lui faut composer avec une nouvelle génération qui préfère vivre dans le déni et le confort, ainsi que ses maitresses et enfants illégitimes qui s’inquiètent de son départ.
Le point de vue choisi est multiple, mais c’est surtout celui du médiateur, interprété par Takashi Shimura, qui correspond au regard du cinéaste : inquiet, soucieux de donner la parole et d’écouter celui que tout le monde prend pour un aliéné, il rappelle le Fonda de 12 angry men, d’autant qu’il partage avec lui la vision d’une ville totalement étouffée par la fournaise. Face à lui, des groupes butés et dans l’impasse, et une impossibilité frontale à communiquer. Mifune grimé en vieillard atrabilaire aux cheveux blancs est convaincant et méconnaissable.
[Spoils]
Le pessimisme quant à l’issue des débats, l’incapacité à résoudre un conflit autrement que par la destruction et l’enfermement colore l’humanisme et l’empathie d’une noirceur résolument pessimiste, qu’on peut comparer au très beau Take Shelter. Résolu à sauver les siens malgré eux, le chef de famille brûle l’usine dont les revenus suffisaient à leur sédentarité ; à cette extrémité répond, après la mise sous tutelle, l’internement. De plus en plus resserré, le cadre quitte la ville pour une très belle image finale d’un double couloir en pente où se croisent ceux qui visitent et ceux qui quittent le détenu.
Si le propos est intéressant et ses rapports à l’Histoire plutôt habiles dans leur symbolique, le film accuse tout de même certaines lourdeurs, par la répétition des réunions de famille et l’hystérie des coups dans lesquels finissent les échanges, et reste un film mineur dans la pléthorique œuvre de Kurosawa.

(6,5/10)

http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Akira_Kuorsawa/728262
Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Psychologique, Famille, Vus en 2014 et Cycle Akira Kurosawa

Créée

le 14 janv. 2015

Critique lue 952 fois

32 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 952 fois

32
2

D'autres avis sur Vivre dans la peur

Vivre dans la peur
Sergent_Pepper
7

Peur sur la bile.

La vision qu’entretient Kurosawa de l’humanité est depuis les débuts de sa filmographie très proche de celle de Dostoïevski, et ce nouvel opus ne déroge pas à ses obsessions. Toujours ancrée dans...

le 14 janv. 2015

32 j'aime

2

Vivre dans la peur
Docteur_Jivago
8

Voyage au bout de l'Enfer

Les horreurs d'Hiroshima et Nagasaki auront pour longtemps une répercussion sur le Japon et notamment son art, à l'image du célèbre Godzilla. Akira Kurosawa aura aussi été marqué par ces événements...

le 7 mars 2017

23 j'aime

3

Vivre dans la peur
Kobayashhi
5

" La peur et la beauté sont incompatibles"

Vivre dans la peur a été réalisé un an seulement après Les Sept Samouraï et son immense succès qui vaut désormais à Kurosawa une renommée mondiale plus importante encore que celle procurée par...

le 23 août 2013

14 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

716 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53