Vol au-dessus d’un nid de coucou, réalisé par l’excellent Milos Forman en 1975, est un film qui trouve une signification toute particulière chez moi. Qu’il échappe à toute interprétation univoque, qu’on le qualifie de chef d’œuvre artistique ou de sulfureux ode anticapitaliste chantonnée par Forman lui-même, débarquant dans une Amérique qu’il ne comprend pas, il n’en demeure pas moins que ce film a connu un destin tout à fait singulier en bouleversant le cours de ma vie.
A l’aube encore de sa treizième année, enfermé depuis presque deux ans dans le bâtiment psychiatrique collégien, le jeune Moi n’y avait toujours pas fait son nid. Enfermé manifestement par erreur, il y était entouré de fous, de dingos, chacun plus névrosé que le précédent, et alors qu’il observait d’abord attentivement ce nouvel environnement étranger, il allait bientôt rêver de liberté.
R.P McMurphy, génialement habité par Jack Nicholson, est un impulsif délinquant accusé de viol sur mineure, qui se trouve enfermé dans hôpital psychiatrique pour échapper au monde carcéral, mais c’est très vite que celui qui pensait alors tromper son monde et survoler ce nid de coucous, s’en trouve prisonnier.
Prisonnier en vérité, plus que de l’établissement qui l’accueille, mais de lui-même, le jeune Moi avait entrepris un brusque repli sur soi, si bien qu’il était bientôt amené à ne plus distinguer sa réalité de la vraie, et se sentant isolé de son environnement aliéné, il ne savait comment s’échapper de lui-même. A voir sans cesse le monde derrière des grillages froids, à continuellement écouter les autres parler sans jamais s’exprimer vraiment, il n’était plus qu’un pérégrin recherchant sa terre hospitalière, sans jamais ne sembler la trouver, car il demeurait éternellement otage de son carcan.
SPOILER
Mais McMurphy n’est pas un homme dupe, et il ne restera pas longtemps prisonnier de ces chaînes qu’on lui impose, il rêvera la liberté et la chantera si fort qu’il emportera avec lui les chœurs de tous ses délirants camarades. Bientôt il leur fera voir l’invisible, il leur fera goûter la liberté et la pêche, il leur apportera l’espoir dont ils avaient besoin, mais si cette liberté apparente est un réchaud efficace pour le cœur du spectateur, il n’en demeure pas moins qu’à la seconde où Randall McMurphy a déposé pied sur le sol de cet asile, la fatalité qui pèse sur lui était devenue inévitable.
Et alors que l’adolescent en devenir de douze ans se surprenait à rêver la liberté, il restait encore totalement ignorant de la tournure tragique qu’allait prendre sa journée, car dès lors qu’il avait ouvert les yeux ce matin, la fatalité était lancée, et sa vie allait prendre une tournure inattendue. Ses plans de liberté dans lesquels il se plaisait à fantasmer allait très bientôt se faire surprendre, car alors qu’il rentrait des cours comme à son habitude, en poussant la porte de sa maison il avait atteint le point de non-retour.
Un point de non-retour fracassant par sa brutalité, McMurphy ne le sait pas encore mais sa nuit de fête avec ses compagnons allait être sa dernière : son destin tragique était désormais scellé et il ne pourrait plus s’y soustraire. La puissance scénaristique atteint son paroxysme dans le plot twist final qui vient bouleverser le spectateur par la rupture intense qu’il marque entre cet anti-héros attachant qui avait insufflé de l’espoir et du renouveau dans les esprits pourtant détraqués de tous les personnages, et son pilier silencieux et pourtant si fusionnel incarné par le Grand Chef, Will Sampson, qui portera son âme et ses rêves jusqu’au dénouement. C’est ce personnage qui, fort des ailes cousues par McMurphy, survolera finalement le nid de coucous, pour accomplir enfin ce souhait que Randall ne pouvait exaucer seul.
Un souhait, songe de liberté, que le jeune collégien allait bientôt devoir enfouir en lui avant de pouvoir se permettre de s’envoler effectivement. En entrant ce soir, ni l’odeur de la cuisine, ni les rires de ses sœurs, ni les touches de clavier de sa mère sur l’ordinateur ne raisonnait. Simplement des bruits sourds, qui devenait en se rapprochant peu à peu plus clairs, des bruits de coups, des cris, des pleurs. C’est vrai, ce soir-là, sa mère n’était pas sur son ordinateur, ou occupée au téléphone, ce soir, elle était dans la chambre, avec son père. Se tenant en haut des escaliers, les muscles si raides qu’aucun mouvement n’était maintenant possible, le regard posé sur la porte de ses parents, la porte s’était enfin ouverte, et les cris s’étaient stoppés.
McMurphy se tenait sur la table d’opération, maintenue par des liens solides, le crâne sciemment découvert à ses bourreaux autour de lui. Un chiffon dans le gosier comme isolant, deux puissants électrodes ruisselant d’eau sur les tempes, le choc était imminent.
Son père sortit le premier de la chambre, le visage fermé et rongé de colère, et alors qu’il commençait à monter les escaliers, le regard ardent de son père croisa celui du gamin introverti de douze ans, son corps ne répondait plus aux commandes de mouvement, il restait là figé, comme retenu par des sangles acérées. Son père frappa un coup sec contre le mur, qui s’était immédiatement plié sous la force de l’impact, laissant une marque indélébile sur la façade.
Voltage maximal. Violent sursaut. Quelques secondes de silence. C’est terminé. Le coup final a été donné, McMurphy n’est plus tout à fait vivant.
Le jeune, complètement inamovible, ne pouvait maintenant plus détourner son regard du trou formé par l’impact.
J’ai découvert ce fantastique chef d’œuvre de Milos Forman peu de temps après cet incident. A ma grande surprise, après le premier visionnage, j’étais laissé sans voix, et alors que jamais je n’avais envisagé la réelle puissance que pouvait avoir le cinéma sur ses spectateurs, je m’en rendais désormais parfaitement compte. Le travail formidable de Forman à la réalisation a été ma première véritable approche du monde caché du cinéma, et pour la première fois je pris conscience que derrière un film, il y avait un travail conséquent. Ce film a touché en plein cœur le jeune adolescent que j’étais, et je suis certain qu’il a changé à jamais ma perception du monde, alors qu’il soit apprécié ou décrié, Vol au-dessus d’un nid de coucou restera un chef d’œuvre du cinéma à mes yeux.
Aujourd’hui, le regard fier, je peux dire que j’ai finalement pu étouffer ce Moi introverti et traumatisé, pour finalement m’envoler de mes propres ailes et devenir celui que je suis désormais, tout cela, bien sûr, grâce à l’aide précieuse de m[es] Grand[s] Chef[s].