Le protocole était pourtant bien réglé avant l’arrivée de Randall Mc Murphy : la musique classique pour apaiser les patients, la thérapie collective, Miss Ratched et sa coiffure impeccable, symétrique et magnifiée par sa coiffe immaculée, le rituel de la prise de médicaments, et le silence, surtout, des regards fuyants ou dans le vague.
Son arrivée fait l’effet d’un chien dans un jeu de quilles. D’abord spectateur amusé du musée des aliénés, un sourire permanent aux lèvres, il met instinctivement en place l’anti programme de l’infirmière impassible : par lui, le sourire jaillit, les bras se lèvent, les regards commencent à faire le point. Idéaliste militant, Randall accomplit des miracles : il fait voir un match invisible, parle aux sourds muets, emmène sa bande au grand large et dépucèle le bègue.
Cette première dimension du film, celle d’une comédie utopiste, est une ode à la communication et à la solidarité. Sorte de prolongement de Freaks, elle prend soin de caractériser chaque personnage, par une longue série de gros plans, de portraits, où l’on insiste davantage sur celui qui écoute que sur celui qui parle. Le carcéral donne ici la possibilité de tisser les liens d’une famille réunie dans l’adversité, et de plus en plus soudée. Les noms, souvent répétés, brisent la distance de l’effroi et du recul face à l’aliéné, le rendent attachant et surtout doué d’aptitudes à la communication, pourvu qu’on lui donne l’occasion de les exercer.
Cependant, les raisons de la présence de Mc Murphy sont annoncées dès le départ : violent, impulsif, contestataire, il est là en observation, pour déterminer s’il relève de l’asile psychiatrique ou non. Toute la question est de déterminer sa fragilité psychologique, censément déguisée par ses frasques et ses cabotinages, de savoir s’il joue la comédie, et partant, si la comédie dont il est le cœur serait une forfanterie.
Cette ambiguïté, délaissée un temps par la profonde empathie qui gagne le spectateur rejaillit de temps à autre, notamment par le visage marmoréen que Miss Ratched (extraordinaire Louise Fletcher) posé sur Randall. N’est-elle pas dupe, ou veut-elle sa perte pour avoir osé défier son pouvoir ? C’est tout le sujet de leur silencieux affrontement, par l’entremise de leur effet respectif sur les patients.
Qu’importe pour Mc Murphy : ivre de son influence, il promet la liberté, l’émancipation à ceux qui l’entourent, au mépris des contingences : les séquences de libertés illicites se dilatent, le temps n’a plus cours, ni l’espace : alors qu’il tête sa bouteille, il diffère son départ dans un Canada où il se voit déjà pour permettre à Billy l’exploration de sa terra incognita.
Mais la scène sur laquelle il se produit a ses limites, et l’insouciance avec laquelle il se déplace lui fait oublier le public initial : Randall est observé, diagnostiqué, et s’il se moque ouvertement des spectateurs, ceux-ci remporteront tout de même la partie, car à eux seuls revient la décision de tirer le rideau et d’éteindre les projecteurs.
Les bacchanales finales qui partent en vrille de toutes parts ne sont que le prélude du double drame, au petit matin : la sévère gueule de bois (peut-être un tantinet excessive à mon goût dans sa précipitation des événements tragiques) sera définitive, sans possibilité d’émerger.
Randall se sera finalement dilué dans cette communauté : au muet, il aura donné la parole, aux autres la liberté, la mer, le jeu, la fête. Son adieu au monde passe aussi par une prise de conscience de ses propres limites : oui, un certain nombre d’entre eux était là volontairement, oui, il ne s’adapte à aucun système. Face au sadisme de la figure d’autorité, ses provocations d’enfant auront entrainé dans son sillage une petite comédie humaine d’autant plus attachante qu’elle était muselée jusqu’alors ; éphémère mais suffisamment puissante pour briser les cloisons et permettre le tableau final d’un homme qui fusionne avec la montagne.