Quel est ce grain de sable que je peine à déceler dans ce film remarquable, celui qui m’empêche de m’enthousiasmer lorsque le rideau final tombe et que tout se finit, sans réelle surprise, ni déception pour autant. Cette machine parfaitement huilée qu’entretient pendant 1h45 un montage virtuose cacherait-elle sous ses airs cyniques un vice difficile à expliquer parce qu’il est planqué par tout un tas de belles qualités.
Il est en effet impossible de trouver réponse à ce sentiment en cherchant dans la mise en scène de Stanley Donen ; l’auteur y fait preuve d’une aisance formelle à toute épreuve. Au pari fou qu’il entreprend de mixer les époques, les cultures et les milieux sociaux, il répond par des idées foisonnantes et un sens de la narration qui force le respect. Si les premières ruptures temporelles font l’effet d’un artifice étonnant, lorsqu’elles trouvent leur rythme de croisière, qu’elles s’enchaînent admirablement par des raccords très harmonieux, la question ne se pose plus : l’idée, en plus d’être ingénieuse, fonctionne sans réserve. Dès lors, le cinéaste peut dérouler son propos avec une efficacité redoutable et placer ses personnages face aux paradoxes de leurs discours, ou plutôt de cette vicieuse société qui parviendra à les emprisonner, malgré eux, dans ce schéma qu’ils se refusaient à épouser, pour l’un d’entre eux notamment, avec beaucoup de conviction.
Mais peut être que cette impureté qui empêche le moteur, de cette farce sociale somptueusement dressée, de chanter sans contre temps, se trouve être son impulsion satirique trop poussée, qui prend les traits forcis de cet architecte ambitieux dont le verbe, caricatural en diable, n’est jamais suivi d’actes à leur hauteur. Parce que remettre en question le mariage au moyen de dialogues parfaitement ciselés fait, certes, rire jaune mais est-ce suffisant pour convaincre ?
J’en doute quelque peu, et reste, en tout cas, un peu sur la réserve quant au discours très radical, et pourtant on ne peut plus fleur bleue dans le fond, de Donen. Le cinéaste allant même jusqu’à prouver la douceur qui se love sous l’acidité de son message dans un final résolument optimiste qui sonne le gong des excuses au lieu d’assumer enfin, une bonne fois pour toute, son message revendicateur.
Et pourtant, malgré cette réserve, je n’ai pour le film que beaucoup de respect, pour sa mise en scène et son montage ahurissant d’abord, mais aussi pour sa liberté de ton, que j’aurais certes aimée encore plus borderline, mais qui, en l’état, me paraît déjà assurément corrosive.
Et malgré mon aversion pour ce type de bobine un peu langoureuse —les histoires de couple «je t’aime moi non plus», me faisant généralement ni chaud, ni froid—, je me suis même beaucoup amusé devant les tribulations de Audrey Hepburn, pour laquelle on se laisserait passer un collier antipuce autour du cou sans demander son reste, et Albert Finney, délicieusement à contre courant, porteur de dialogues savoureux frappant les tympans avec la puissance d’une masse d’arme dès qu’il s’agit de tacler gentiment le mariage et la vie de famille. Il ne manquait qu’un soupçon d’audace dans l’écriture de cet architecte au cœur finalement trop tendre, suivi d’actes moins convenus dans leur finalité, pour faire de Voyage à deux un road movie subversif au sens premier du terme.