Loin du calme indifférent
Pour Piero Usberti, ce documentaire devait initialement être dépouillé de sa propre présence, pour ne mettre en avant que les Gazaouis et leur quotidien. Heureusement, il s'est aperçu de sa place...
le 23 oct. 2024
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“C’est impossible de sortir ou d'entrer à Gaza”. Depuis la construction du mur israélien autour de l’enclave suite à la guerre de l’été 2014, le désir libertaire de Mohamed reste au point mort. Comme lui, de nombreux Palestiniens ont tenté plusieurs fois de fuir la misère via le passage d’Erez, lieu de transit entre Israël et la bande de Gaza. De l’autre côté de la frontière, des cinéastes comme Piero Usberti prennent le chemin inverse pour dévoiler le quotidien d’une population prisonnière.
Après le visionnage de l’avant-première au cinéma Concorde de Nantes en novembre 2024, le jeune cinéaste raconte ce qui l’a poussé à découvrir l’enclave palestinienne. “Dans ma ville natale de Sienne, j’ai toujours baigné dans la culture palestinienne. Mon père était professeur et il a créé un échange entre l’université de Sienne et deux universités gazaouies. Il m’a raconté son court séjour à Gaza et suite à cela, j’ai voulu découvrir cet endroit.”
Nous sommes au printemps 2018 et le Voyage à Gaza commence. Dès la première scène du film, la caméra à l’épaule d’Usberti nous amène au cœur des funérailles de Yasser Mortaja, journaliste palestinien tué par l’armée israélienne lors d’un reportage sur la “marche du retour", un mouvement de protestation civile lancé le 30 mars 2018 dans la bande de Gaza pour dénoncer le blocus et réclamer le "droit au retour" des réfugiés palestiniens. Grâce à cette approche cinématographique, le réalisateur crée une sensation immersive chez le spectateur, véritable témoin de la mort de ce reporter. “Dès mon arrivée à Gaza, j'ai pris ma caméra et dès ces premiers moments de vie et de tristesse, j’ai compris que je pouvais produire un film. J’ai fini le montage cinq après mon retour, soit une semaine avant le 7 octobre. Si je l’avais fini après, le film aurait été différent”, commente-t-il.
À 25 ans, le jeune Italien découvre alors une atmosphère déjà marquée par la violence. Le déluge de bombe israélienne suite au 7 octobre n’a pas commencé, mais les drones de Tsahal répandent déjà la terreur à Khan Younes, Rafah et Gaza City. Entouré des murailles infranchissables de l’État Hébreu et à la portée des snipers israéliens, le public découvre un quotidien marqué par les drames et les crises. Dans ce marasme, le cinéaste de Sienne cherche à montrer la beauté d’une aire urbaine côtière bruyante, riche de rencontres et de souvenirs partagés.
6 Gazaouis révoltés
Après plusieurs heures sur sa table de montage, Piero Usberti a sélectionné six personnages. Contextualisés par sa voix-off en italien, présente pendant tout le film, les témoignages de Sara, Mohanad, Joumana, Mohamed et les autres rythment le long-métrage d’une heure et sept minutes. Face à la caméra, ces jeunes Palestiniens racontent leur désir de départ malgré l’amour qu’ils portent pour leur terre, la répression israélienne, les blessures béantes de la guerre ou encore leurs profonds désaccords idéologiques et politiques avec le Hamas. Certains livrent même une analyse géopolitique de la situation critiquant la complicité des États-Unis pendant que d’autres parlent de leur bibliothèque remplie d'ouvrages de Karl Marx ou d’Albert Camus.
À Gaza avant le 7 octobre, des jeunes lisaient “L’Étranger”, sortaient au café, écoutaient de la musique, se baignaient dans la Méditerranée, étudiaient l’Italien, pratiquaient le baseball ou le football. Des scènes anodines pour le monde occidental, des joies du quotidien précieuses pour la population de Gaza. En témoignent les rires de Sara dans un des cafés renommés du bord de mer. Des moments de bonheur à la fois si près et si loin des tumultes de l’énième guerre qui les attendait. “J’ai gardé contact avec toutes les personnes qui sont dans le film, indique Usberti. À cette heure, ils ont tous fui la bande de Gaza et leurs habitations sont détruites. Sara a rejoint l’Italie et Joumana vit aujourd’hui au Caire. Elle est restée en tant que journaliste jusqu’à avril 2024 pour publier les témoignages de la population, mais la naissance de sa fille l’a poussée à quitter l'enclave.”
Un devoir de mémoire
Au-delà de son intérêt documentaire, le film devient, presque malgré lui, une archive rare et précieuse. Alors que l'enclave palestinienne est aujourd’hui en grande partie détruite et que les journalistes y sont souvent pris pour cible, peu d'images récentes capturent le quotidien de Gaza. “Le film raconte des faits historiques et montre qu’il se passait déjà des horreurs bien avant le 7 octobre. Après cet événement, j’ai directement vu le potentiel politique du long-métrage. On peut aussi découvrir des lieux rarement filmés par les journalistes ou les cinéastes”, ajoute Piero Usberti. Comme cette scène où le spectateur pénètre dans les champs de fraises de Beit Lahiya, à proximité de la frontière avec Israël. Selon un jeune gazaoui interviewé dans le film, l’État Hébreu empoisonnait les cultures avec du gaz pour “affamer une population touchée par la pauvreté, le manque d’eau et le blocus”. Malgré ces conditions de vie déplorables, les jeunes gazaouis, à l’instar de l’humour libanais, préfèrent rire des coupures d'électricité dans un café.
“Montrer ces moments de vie permet au public de comprendre comment le peuple palestinien résiste à la souffrance”, étaye l’Italien. Cette peine, Usberti la transmet via son récit, tout de même limité par l’absence de contradiction. Entre deux témoignages, sa voix-off choisit de raconter l’histoire d’un conflit ultra complexe. Témoin des actions israéliennes non légiférées par le droit international pendant son tournage, il dénonce la politique impérialiste de l’État Hébreu, déjà bien instaurée en 2018. Sept ans après, la guerre d’anéantissement sur Gaza menée par Tsahal lui donne raison.
Créée
le 13 janv. 2025
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Documentaire très prégnant sur le quotidien des Palestiniens dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, filmé avant le 7 octobre. Le film est d’autant plus marquant que tout ce qui est montré, ne doit...
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Piero Usberti va à la rencontre de la jeunesse gazaoui , montre comment leur libertés sont limitées, leurs rêves impossibles , dévoilent leur angoisses mais aussi leur soif de vie et de rire. La...
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