Les vivants, les morts et les autres

Trois copains de la communauté russophone orthodoxe représentent l'Amérique pieuse, laborieuse et patriote. Ils vivent leurs derniers instants d'insouciance tandis que de petits détails nous annoncent la fin de l'innocence.

Le contexte

Le 30 Avril 1975, la chute de Saïgon marquait la fin de la première guerre perdue de l'histoire des Etats-Unis.
Comme après chaque guerre, les vétérans ne pouvaient raconter aux civils ce qu'ils avaient vécu. Les mots ne suffisent pas. Mais en plus, dans ce cas, ils représentaient la honte de la défaite de tout un peuple qui se pensait invincible.
Les vétérans qui avaient su se réadapter à la vie civile se taisaient, d'autres étaient tombés dans la délinquance ou la mendicité, beaucoup étaient handicapés et rappelaient l'humiliation aux valides. Les familles des morts étaient traumatisées et ne comprenaient pas pourquoi leur enfant était allé mourir pour une mystérieuse cause perdue.
L'Amérique était malade.

Puis, coup sur coup deux films choc montrent par les images ce que les paroles n'avaient pas su transmettre. En 1978, "Voyage au bout de l'enfer" et en 1979, "Apocalypse Now" réconcilient l'Amérique avec ses vétérans et son histoire.
L'Amérique serait-elle devenue adulte? Je ne pense pas car ces images de la guerre du Vietnam ne sont pas vraiment sincères.

Néanmoins ces remarquables dénonciations de la folie de la guerre ouvriront la voie à de nombreux autres films: "Rambo", "Full métal jacket", "Platoon"...

Le film

"Voyage au bout de l'enfer" est le plus terrible des films de guerre. C'est presque un film d'horreur. Il est même pire, car il est crédible et qu'on est happé par la souffrance des personnages.
Il ne nous montre pas que les dégâts physiques avec Steve et les maisons de rééducation d'anciens combattants, mais aussi les dégâts psychologiques avec le destin de Nick (Christopher Walken), au travers de son addiction à la roulette russe, qu'il faut prendre comme une allégorie de tous ces types perdus qui ne sont plus ni morts ni vivants quand ils rentrent, s'ils rentrent...
Michael Cimino nous laisse même entrevoir les dégâts sur toute la communauté d'où ils sont issus, qui se trouve totalement désorganisée, brisée.
Le vétéran du début qui refusait de répondre aux provocations patriotiques des "conscrits", pourrait parler maintenant.

Le temps de l'innocence est passé pour tous.