Dès 1943, Welles commence à perdre pied dans son rapport avec les studios : alors qu’il a dû céder sur le montage de La Splendeur des Amberson et qu’il conduit plusieurs projets en même temps, dont le très prenant It’s all true, un documentaire en plusieurs partie à des fins de propagande américaine qui ne verra finalement jamais le jour, il commence le tournage de ce Voyage into Fear dont il est co-scénariste (avec Cotten), producteur et réalisateur. Mais ne pouvant être présent au Brésil et aux Etats-Unis à la fois, il cède du terrain. Le film sera coréalisé, et il ne sera crédité qu’en tant qu’acteur.
On peut concevoir certains traits distinctifs de Welles dans cette intrigue d’espionnage, notamment dans la perte progressive de repères d’un protagoniste sur un bateau où une société interlope lui donne bien de fil à retordre en matière de mensonges et de manipulations. Mais la légèreté générale (notamment dans le rôle dévolu à Orson himself, sorte d’Atatürk de pacotille) témoigne aussi des limites de la suractivité du cinéaste encore auréolé de la gloire de Citizen Kane : incapable de se borner à un seul projet, il finit par diluer son talent, entre écriture, politique et vie amoureuse complexe.
Quelques prises de vues (la progression initiale vers la fenêtre, le motif du disque rayé, la façade baignée de pluie dans la dernière séquence) attestent de la patte du cinéaste et de la dimension expressionniste qu’il confère le plus souvent aux lieux, de même que le soin avec lequel il établit une galerie de personnages secondaires insolites. Mais l’ensemble reste tout de même assez modeste. Comme pour Le Criminel, son film suivant, Welles joue trop sur un registre alors commun pour pleinement exprimer la singularité de son talent. Ce sera l’un des drames de son parcours : s’engager un peu partout pour subsister, principalement comme acteur, au détriment de son œuvre en tant que créateur.
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