Nous qui jouons souvent les blasés, repus de films et de scénarios dont nous déplorons la prévisibilité, la redondance et l’uniformisation généralisée allant jusqu’à dépasser le cadre strict des frontières et des cultures, pourrions enfin trouver de la nouveauté, de l’inédit avec Wadjda qui concentre en son nom des premières fois étonnantes. Effectivement, Wadjda n’est pas moins que la première œuvre venue d’Arabie Saoudite. Qui plus est réalisée par une femme, Haifaa Al-Mansour, formée doublement à la littérature au Caire et au cinéma à Sydney, et abordant le thème difficile de la situation des femmes dans le Royaume wahhabite. Comment ne pas être curieux, même désireux de découvrir ce film qui commence à collectionner les récompenses à travers le monde.
La réalisatrice, qui a auparavant commis trois courts-métrages et un documentaire remarqué Women Without Shadows, alimente la thématique par le biais d’une histoire toute simple, à la portée émotionnelle et universelle évidente. Wadjda âgée de douze ans vit avec sa mère dans une banlieue de Riyad. Gentiment effrontée, terriblement déterminée et persévérante, Wadjda, portant jeans et baskets, écoutant du rock, rêve de s’acheter un vélo pour pouvoir faire la course avec son copain Abdallah. Petit problème : en Arabie Saoudite, les bicyclettes sont réservées aux hommes puisque considérées comme menaçantes et contraires aux usages vertueux pour les femmes. Mais Wadjda est décidée à tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins.
Une trame donc simple, qui confine à la parabole, sinon au conte. Celle-ci a d’abord le mérite de n’enfermer aucun des personnages, y compris les hommes, dans la caricature. Mais elle a aussi l’énorme avantage de dresser, presque en creux, un portrait précis et terrifiant de la condition faite aux femmes qui, de l’école à la vie professionnelle en passant par la vie publique, sont soumises aux diktats d’une religion qui les oppressent et les nient, recourant sans cesse aux notions de honte et d’indignité pour mieux exercer une autorité extrêmement coercitive. Paradoxalement, cela n’empêche pas que ces femmes bridées et humiliées développent des personnalités fortes. À l’évidence, le film n’en manque pas : Wadjda et sa mère, la directrice de l’école, inflexible et dictatoriale avec ses élèves. Au-delà des femmes, premières victimes d’un système annihilant toute expression de liberté (elles doivent ainsi faire appel à des chauffeurs pour se rendre à leur travail), c’est aussi la société dans son ensemble qui est contaminée par la pression exercée. Contre toute attente, le film s’avère souvent drôle et cocasse, grâce bien sûr à l’espièglerie malicieuse de la petite Wadjda qui ne manque décidément pas d’à-propos ni de ressources pour aboutir à ses fins, cela dût-il passer par les voies les plus inattendues.
Dans un pays où on commence à percevoir des signes très frémissants de changement et d’ouverture, Wadjda apparait bel et bien comme un espace de liberté, chèrement et noblement acquis et défendu. Les cadres jusqu’alors resserrés dans la maison ou l’école de Wadjda vont au final s’élargir, offrant par la même occasion des perspectives nouvelles, inconcevables et symboliques, pour la petite fille qui choisit de vivre son rêve. C’est peu de dire notre soulagement à ce que les premières nouvelles qui nous arrivent du golfe persique soient porteuses d’autant d’espérance, sans toutefois enjoliver ou travestir la dure réalité. En plaçant au centre de son film une enfant, Haifaa Al-Mansour assure du coup la liaison avec ses grands prédécesseurs, Abbas Kiarostami ou Jafar Panahi.