Comme si David Lynch se mettait aux Comics
Kris Kristofferson, dans le rôle d'un ex-flic tout juste sorti de taule, mi cow-boy, mi détective de film noir des 50's débarque à "Rain City".
Pour donner une meilleure idée du personnage, c'est un peu Snake Plissken qui rencontrerait le Marlowe d'Humphrey Bogart, un nouveau roi de la punchline, du bon mot bien senti, boîteux, badass à souhait, et par-dessus tout un monstre de classe ( jugez par vous-même http://image.noelshack.com/fichiers/2013/29/1374087162-kristofferson.png ).
La gueule burinée et asséchée par les années (lui qui était si poupin dans "Pat Garrett et Billy the Kid"), Kris dévore l'écran, dans ce rôle totalement ambigu de type mi-héroïque mi-pervers et totalement romantique.
Keith Carradine, le Jésus Christ de Robert Altman dans le génial "Nashville", oscarisé pour sa mythique et hypnotique chanson "I'm easy" ( http://www.youtube.com/watch?v=L7uhzjnEi5A ), est totalement stupéfiant, une sorte de Joker avant l'heure. D'abord un pauvre type sans le sous qui traîne près du Wanda's Café avec sa compagne (Lori Singer, elle aussi de la maison Altman), et leur bébé.
Il va finalement choisir la voie de la criminalité (bien foireuse), en étant guidé par le personnage de Joe Morton complètement surexcité (vous savez, le type qui a créé Skynet dans Terminator 2).
Et l'idée géniale et délirante, c'est qu'à mesure que Keith s'enfonce dans la criminalité, son physique, son look, sa coiffure, et sa tronche changent, se transforment progressivement en grand n'importe quoi whatthefuckesque.
Carradine vient de muter en gremlins punk ( http://image.noelshack.com/fichiers/2013/29/1374083675-sans-titre2.png ), à la fois effrayant, pathétique, et hilarant.
Et comme une bête malade et blessée, il erre dans les bas-fonds de la ville cartoonesque sortie de l'imaginaire foisonnant d'Alan Rudolph, en quête de succès ou de reconnaissance. Mais personne n'y prête plus vraiment attention.
Dans les seconds rôles tous plus improbables les uns que les autres, on peut également citer la drag-queen préférée de John Waters, "Divine" là aussi dans un contre-emploi insolite et réjouissant, puisqu'il joue le rôle du grand parrain de la mafia, avec délectation : http://image.noelshack.com/fichiers/2013/29/1374090952-trouble-in-mind-5200.jpg .
Au milieu de ce bordel, on a donc un réalisateur, Alan Rudolph, que je redoutais (j'avais déjà vu son "pensées mortelles" qui était horriblement naze), qui fait du Lynch avant Lynch (Blue Velvet sort peu après), qui prend un malin plaisir à laisser libre cours à sa fantaisie surréaliste, à dynamiter tous les codes, à se jouer des oppositions improbables, à brouiller les frontières, à mélanger les genres. Et on pense nécessairement à ce final totalement grandiloquent, dans un bain de sang, où tous les mafieux se sont donnés rendez-vous pour s'étriper dans un barnum général complètement fou et burlesque.
Et Kris est toujours là, et il déambule, titubant déjà un peu comme le fera plus tard Chris "King of New York" Walken, peut-être à l'article de la mort, mais plein d'espoir devant un joli lever du soleil qui baigne de ses rayons chaleureux cette ville glauque et cartoonesque photographiée sublimement par un certain Tayochimi Kurita, à base de couleurs rouges/bleues fluos et moites, et qui préfigure très certainement les univers graphiques des futurs Batman et Dick Tracy (énormément de points communs dans les décors, jusque dans les salons et les bars).
Univers également bercé par la très belle BO toute en saxo et tonalités jazz du talentueux Mark Isham, ainsi que par la voix grésillante de Marianne Faithfull.
Bon après le film est comme son héros, un peu cassé, un peu boîteux, avec quelques problèmes de rythme (bonjour la fameuse image-temps de Deleuze), des dialogues parfois un peu creux, mais il est tellement frais, inédit, unique, surprenant, imprévisible, que 8 petits avis sur ce site, me paraissent bien peu..
A voir donc !! (surtout qu'il n'est pas dur à trouver)
Et je crois avoir cruellement sous-estimé le talent d'Alan Rudolph, qui est sûrement très intéressant et pourtant oublié.
La belle surprise de 1986 pour l'instant, qui est une année bien terne (je me fais tous les films de 86 hors films français).
PS : l'affiche très pulp et très classe du film en dit plus sur son style que des mots.