Hawk est un ancien flic qui sort de prison.Coop et Georgia vivent dans un camping-car avec leur bébé.Tous se retrouvent à Rain City,dans l'Etat de Washington,et atterrissent dans le café tenu par Wanda,l'ex de Hawk,où échouent les laissés pour compte de la ville.Quand Hawk tombe amoureux de Georgia,c'est le drame.Alan Rudolph,réalisateur et scénariste du film,est un cinéaste assez surestimé,et "Wanda's Café" est considéré par ses fans comme son chef-d'oeuvre.Sans aller jusque-là,il faut avouer que c'est plutôt bien.Pourtant,le début fait craindre le pire avec sa délectation morose,ses scènes d'action bidon et ses personnages qui parlent comme dans un livre,débitant des dialogues abscons ridicules,tandis que les acteurs,pris au piège d'une mise en scène poseuse et outrageusement chorégraphiée,tentent de s'en sortir en surjouant.Mais petit à petit l'ambiance s'installe et le charme opère insidieusement.Rudolph est indubitablement un styliste,et ce film ne manque pas d'originalité.Le réalisateur nous livre en principe un polar,mais ce n'en est pas un car l'intrigue policière n'a visiblement aucune importance pour lui.D'ailleurs l'histoire,linéaire et simplette,ne présente guère d'intérêt.Ce qui motive Rudolph,ce sont les rapports humains,l'amour,l'amitié,la chance et la malchance,le poids de la fatalité,la possibilité de la rédemption,ce qui le conduit à traiter son scénario comme une tragédie grecque qui voit les protagonistes se démener et osciller entre l'espoir et l'abîme.Il en profite pour dresser le portrait d'une société décadente,n'oublions pas que nous sommes au milieu des années 80,où l'obsession de l'argent,et de l'argent vite gagné,est devenue la règle.Nous plongeons donc dans les bas-fonds d'une ville sans âme,où se côtoient grande richesse,souvent acquise de manière criminelle,et immense pauvreté.Le constat social amer transpire à l'écran,chaque plan suintant la déveine.La photo de Toyomichi Kurita participe largement à la fête,avec ses splendides images à la lumière très travaillée.Les scènes de jour font dans le grisâtre brumeux déprimant,alors que les séquences nocturnes jouent à merveille des reflets des éclairages qui font briller l'asphalte,dans une texture typiquement eighties.Tout ceci infuse dans une belle musique bluesy de Mark Isham,agrémentée de formidables chansons interprétées notamment par l'admirable voix cassée de Marianne Faithfull.Quant à Rudolph,il traque l'insolite en permanence,que ce soit dans les somptueux cadrages inattendus,dans les agaçantes conversations hors-champ ou dans la description de personnages extrêmement lookés,qu'il s'agisse du chapeau et de la claudication de Kris Kristofferson,de la coiffure et des maquillages punk de Keith Carradine,des lunettes stylées de Joe Morton,de la moumoute de Dirk Blocker ou des costumes brillants de Divine.Les éléments bizarres s'accumulent,de l'homme à tout faire du bar toujours affairé que tout le monde ignore et bouscule à la présence continue de militaires et de manifestants dont on ignore la raison,jusqu'à la bluffante scène du cadavre dans une voiture pleine de flotte.Alan superpose en plus à ce menu copieux une dose d'humour décalé qui confinera au burlesque lors de la démente fusillade finale.Les personnages,loin d'être héroïques,sont pour la plupart des losers pas très malins.Hawk est un bourrin brutal qui cache derrière sa violence une mentalité de midinette,Georgia est une idiote,Coop est un petit délinquant abruti,les autres sont des gangsters irrécupérables.Seule Wanda,femme désabusée et blessée par la vie,relève le niveau en essayant d'arranger les affaires des uns et des autres.Le casting est de haute tenue et les comédiens parfaitement choisis.Kristofferson incarne parfaitement la virilité froide et la force tranquille,alors que Carradine est fort à l'aise dans la nervosité instable.La sensualité torride de la jolie blonde Lori Singer colle idéalement à sa Georgia,on my mind bien sûr,et même Geneviève Bujold,habituellement insupportable,offre une excellente prestation.Joe Morton et Dirk Blocker sont des comparses de grande classe et Divine,le travesti acteur fétiche de John Waters,est stupéfiant et prouve qu'il peut tout à fait jouer un homme.