Ex-actrice à la carrière sans doute contrariée, Julia a tout quitté pour s'installer à Bucarest, ville dont est originaire son compagnon. Pendant que ce dernier est accaparé par son travail, la jeune femme désœuvrée tente de prendre ses marques dans ce pays où elle ne connaît personne et dont elle peine encore à parler la langue. Bientôt, alors qu'un tueur sévit aux alentours, elle remarque un voisin qui ne cesse de l'observer depuis sa fenêtre située dans l'immeuble d'en face...

Lorsqu'au premier jour de leur emménagement, encore fébrile sur la question de ce nouveau départ, Julia demande à son compagnon de la réveiller le lendemain avant qu'il parte travailler (pour partager un moment avec lui), celui-ci élude sa demande et lui envoie une photo d'elle endormie accompagnée d'une excuse badine. La scène est en apparence anodine mais elle signifie en réalité le prémices d'un leitmotiv qui ne va cesser d'animer le premier long-métrage de Chloe Okuno : les cris d'alarme d'une femme dans un monde qui choisit de les ignorer et de s'en détourner. Il apparaît en effet très vite clair que Julia est rongée par la peur de cette nouvelle vie : isolée dans un pays étranger et par la barrière de sa langue, renvoyée à sa solitude par un homme plus fusionnel à son travail qu'à leur relation et laissée face à son spleen existentiel durant l'immense vide de ses journées au coeur d'un appartement qui l'est tout autant, la jeune femme est un gyrophare de détresse ambulant dont personne ne paraît saisir l'ampleur de la fragilité.

Et puis, cette peur va se muer en paranoïa autour d'une potentielle menace à plusieurs facettes, devenant tour à tour en la silhouette figée du voyeur en face de la rue, un mystérieux inconnu qui semble la suivre ou un tueur en série faisant les gros titres locaux. Si Julia a tôt fait d'établir des pointillés mentaux entre ces différents visages jugés dangereux, son conjoint et d'autres ont un peu plus de mal à la croire, préférant tout de suite remettre en cause chacun de ses dires jusqu'à la faire douter d'elle.

Dès lors, il va être bien sûr question de savoir si les craintes de Jules sont réellement justifiées alors que "Watcher" s'amuse à jouer sur la frontière mouvante entre les agissements de Julia et son supposé stalker, en la mettant notamment elle-même dans la position de harceleuse afin de prouver le bien-fondé de son intuition, quitte à renforcer les doutes de son entourage à son sujet et, pour le spectateur, maintenir le trouble sur la réalité des faits.

Avec ses allures de vrai thriller hitchcockien (au sens noble de l'expression, pas comme un médiocre "La Femme à la Fenêtre" par exemple), où une épatante Maika Monroe devient une figure féminine contemporaine échappée tout droit de ce cinéma d'exception, "Watcher" est quasiment irréprochable en termes de traitement de son sujet, son atmosphère pesante et sa manière à chaque fois plus anxiogène de rapprocher Julia de cet inconnu se marient à merveille aux idées de mise en scène pour traduire l'isolement toujours plus croissant, sur toutes ses formes, de cette héroïne que personne ne semble vouloir entendre et même poussée au bord du précipice par ses rares interlocuteurs (à l'exception d'une voisine, parfait contraire de Julia niveau assurance).

Après un final déjà brillamment exécuté, l'ultime plan de "Watcher" -les yeux de Julia posé sur un autre personnage- est probablement le plus symbolique du film en termes d'alliance réussie entre le fond et la forme: toute la portée de la thématique en son coeur est soutenue par la seule force du regard de son héroïne, de ce qui y transparaît comme onde de choc émotionnelle véhiculée par sa formidable actrice et dont Chloe Okuno saisit terriblement bien toute la puissance dévastatrice pour chercher à nous hanter au-delà du générique de fin.

Mais il y a néanmoins un hic d'importance qui nous empêche d'envoyer "Watcher" au panthéon des grands films en sa catégorie. Malgré toute l'intelligence de la proposition et le talent pour nous la faire ressentir par sa direction, le film peine à surprendre dans le suspense qu'il établit sur la réalité ou non de sa menace. Peut-être sûrement parce qu'il partage certaines situations incontournables de ce type d'histoire de harcèlement avec bon nombre de produits bien moins recommandables sur le même sujet (et même de piètres téléfilms de seconde zone où l'héroïne est toujours en mode seule contre le monde)... Le traitement et ce qu'il cherche à transmettre niveau discours ont beau être ici d'une toute autre tenue, on devine sans mal vers quoi la balance va pencher in fine, ainsi que la nature de la plupart des obstacles ou soutiens placés sur le parcours scénaristique de l'ensemble. Ainsi, si tout est bâti avec réflexion et pertinence pour chercher à en faire émaner plus sur le fond en corrélation avec le visuel, le manque d'une originalité plus poussée de "Watcher" sur ses péripéties le condamne à rester hélas un peu mineur. Cela n'enlèvera rien à la belle révélation que Chloe Okuno représente grâce à ce qui n'est après tout qu'un premier long-métrage ou au fait que Maika Monroe confirme qu'elle est bel et bien une actrice à part, mais il manque à "Watcher" ce petit plus d'inventivité sur ce plan décisif pour définitivement s'imposer.

RedArrow
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le 25 juin 2022

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