Adaptation du réputé inadaptable Watchmen, roman-graphique ou comic-book le plus adulé des geeks, Watchmen se présente comme un film total, un film-somme révisant l’Histoire américaine et brassant les mille facettes des super-héros. Rien de fondamentalement original ici, simplement une composition survolant tout un monde, avec le déjà sacro-saint Zack Snyder aux commandes.

Le récit gravite autour de la reformation d’un groupe éclaté d’anciens héros masqués, menacés depuis le meurtre brutal de l’un d’entre eux. Ce postulat évoque The Avengers, mais Watchmen en est une version moins grivoise et surtout, il ne s’agit pas ici de sauver le Monde, mais de le transformer (c’est plus ambitieux). Watchmen est ainsi l’occasion de faire se mesurer plusieurs visions de l’ordre du Monde (dénigré, accepté, encouragé, subi), plusieurs façons de fixer des priorités à sa vie ou de capter son destin (suivre les projets communs ou devenir un lonesome reac’, choisir l’indifférence ou le cynisme ou se mettre au service de l’opportunisme et de l’idéalisme d’un bâtisseur d’Empire quelconque), plusieurs manières de s’inscrire ou pas dans la marche de l’Histoire (le film est emprunt d’une grosse tendance complotiste).

Uchronie, Watchmen refait l’Histoire depuis les 70s en misant sur un surhomme bleu façonné en performance capture. Le Dr Manhattan a offert sa puissance, ses visions et son aura pénétrante aux américains, se rangeant du côté des puissances les plus significatives pour contribuer à leur domination (notamment en mettant fin au conflit du Viet-Nam). Montagne de pragmatisme et de stoïcisme, ce Surhomme fait preuve d’une bienveillance paradoxale, sa quête de vérité et d’harmonie l’amenant certes à comprendre et à créer, mais sans se projeter dans le réel qu’il évalue. A la différence des humains, il n’a pas d’opinion propre, n’est encombré d’aucune valeur, ne donne aucune priorité à l’empathie ou la passion qui sont pour lui des concepts étrangers et parasites.

Et pourtant c’est ce Dr Manhattan que l’on donne à admirer : une occasion de se rappeler le masochisme des foules, envisagées comme du bétail à juste titre, puisqu’elle n’attendent que de se coucher devant un maître omniscient. Sa perception systémique et ses réflexes rationalistes conduiront le Géant Bleu à adopter le rêve d’un « monde unifié » d’un adorateur d’Alexandre le Grand, en vertu de l’impératif sinon de la paix civile, au moins d’une nouvelle stabilité et d’une domination renforcée sur la Nature et le hasard. Dès lors, la Sagesse, c’est aussi de sacrifier la plèbe pour perpétrer des desseins prestigieux, ou établir un ordre plus éclairé, plus sain. Ce n’est pas de l’anti-humanisme ; c’est le prix du progrès et même d’un meilleur épanouissement futur de l’Homme. L’Humanité est tout, les Hommes ne sont rien.

Fidèle à son matériau de base, c’est un film d’une beauté et d’une virtuosité rare, une mosaique flamboyante ; c’est aussi un spectacle traduisant, avec une dose de nonchalance et une froideur absolue, la folie des utopies globales, mais aussi leur légitimité, leur raison critique devant le brouhaha des prisonniers de la Civilisation, que nous sommes (presque) tous.

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le 9 juin 2014

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Zogarok

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