Watchmen restera peut-être le film qui, le plus, a marqué la frontière, le fossé, le gouffre même, qui peut parfois exister entre le traitement du super-héros chez Marvel d’un côté, chez DC de l’autre. Il y a autant entre les Watchmen et Iron Man qu'entre Philip Marlowe et Martin Riggs. C’est d’ailleurs cette approche du sujet qui explique en partie la longueur du film et le fait qu’il parait parfois long et lent. Chez Marvel, on penche le plus souvent vers les super-héros "trop cools" et débordant de super-pouvoirs, avec un bon sens de l’humour des aventures grandiloquentes et surtout une blonde atomique à leurs côtés. Alors on leur attribue parfois quelques défauts qui servent à faire mieux ressortir leurs qualités. Chez DC c’est différent, il n’y a pas toujours de super-pouvoirs, mais souvent des problèmes existentiels, il n’y a pas toujours les qualités d’un héros manichéen, mais souvent des personnages brutaux et expéditifs pour défendre ce qu’ils pensent être juste.
Les Watchmen sont un groupe de sentinelles vieillissantes s’étant donné pour mission, sur fond de guerre froide, de préserver la paix et la sécurité de leurs congénères. Tous ont plus ou moins des pouvoirs (surtout moins en fait), mais possèdent tout de même un don pour le combat. Tous ont plus ou moins une éthique morale (surtout moins en fait, derechef), mais possèdent le même objectif louable. Ils forment un groupe qu’on penserait totalement hétéroclite, mais qui mise sur la complémentarité des caractères et caractéristiques. Rorschach se détache largement du lot, personnage très sombre excessivement fascinant, d’une épaisseur peu commune pour une si fine carrure et pour qui la fin l’emporte sur les moyens. Mais tous sont identifiables et constituent une ligue dont les protagonistes semblent autant prêts à s’affronter les uns les autres qu’à faire cause commune, leur but étant le même.
Zack Snyder a ceci d’étonnant qu’il est capable de saisir l’essence même de l’histoire qu’il raconte et de trouver la manière la plus proche de la perfection de la raconter. Voilà un réalisateur qui se révèle capable de se créer un univers cinématographique tout à fait propre et identifiable, mais qu’il sait rendre accessible au plus grand nombre, le reste étant l’affaire des goûts de chacun. Watchmen est à des années lumières de Man Of Steel. Le film est plus lent, Snyder prenant tout le temps nécessaire à introduire ces personnages, conscient que la psychologie et l’histoire de chacun sont essentielles à l’impact qu’il veut avoir sur le spectateur.
La mise en scène, le choix des couleurs, des décors et également des rythmes font de son film une splendeur bien loin de l’aspect distrayant que peut revêtir Man Of Steel, on est ici beaucoup plus proche des films noirs d’autrefois mettant en scène un Philip Marlow. A cet égard, le personnage de Rorschach est un parfait exemple, long manteau à col relevé, chapeau et voix grave venue d’outre-tombe. Le film baigne dans une nuit quasi perpétuelle qui dissimule la vérité immédiate aux yeux du spectateur, une nuit où les corps deviennent silhouettes et où les certitudes s’effondrent.
Epopée presque mystique voir mythologique, Watchmen fait un bien fou au film de super-héros, montrant qu’il ne s’agit pas que d’un genre pour adolescents en manque de «points de repère », mais que ce genre atteint parfois l’âge adulte, proposant des personnages du côté obscur de la force. Ce film est simplement beau et complexe, peuplé de personnages sombres mais bizarrement attachants, Snyder n’hésitant pas en revanche à faire couler le sang et à mutiler les corps. Watchmen, s’il n’est pas pour certains le meilleur du genre, reste un des plus beaux mélange entre le noir de l’histoire et le blanc de ces chevaliers prêts à tout pour l’humanité.