Hé ben très sympa et intéressant ce documentaire qui a la bonne idée de se détacher un peu de la musique et du festival pour se plonger dans le ghetto de Watts à une époque où les espoirs d'un changement (comme le chantait feu Sam Cooke) étaient encore vivaces. La caméra de Mel Stuart interroge anonymes (hommes et femmes) et personnalités plus connues (comme Ted Lange, le Isaac de Love Boat ou Richard Pryor, encore inconnu à l'époque). Les thèmes abordés sont variés : être un "nigger" aux Etats Unis, qu'est-ce que le blues, l'amour, la déception sentimentale, l'adultère, les blancs, la religion (il y a une vraie ferveur religieuse à cette époque, assumée et revendiquée) l'espoir... C'est une vraie photographie du ghetto de Watts au début des 70's, les personnages sont hauts en couleur et pas seulement à cause de leurs tenues, souvent drôles. D'ailleurs, Richard Pryor est énorme. Il incarne une dizaine de personnages différents, de l'ex-taulard à la vieille blanche en passant par le flic raciste, toujours très drôle dans ses mimiques et ses punchlines. Je me suis fendu la gueule. D'ailleurs, on rit beaucoup dans ce documentaire.
Musicalement, très sincèrement, je suis un chouya déçu. J'ai toujours du mal avec les scènes à ciel ouvert en plein jour, il manque toujours un truc, c'est un peu trop calme. Là, ça l'est d'autant plus que la scène est au milieu du stade de foot et que le public est dans les gradins, pas sur la pelouse. Il y a des moments qui envoient pas mal, le révérend Jesse Jackson qui en appelle à la fierté de sa communauté en tête. En revanche, quand c'est le tour des Stax Golden 13, ça part dans tous les sens pour un gospel qui n'arrive pas à la cheville de celui qu'on voit ensuite dans l'église... Ce passage m'a d'ailleurs fait vraiment réaliser qu'aujourd'hui on avait des mannequins qui chantent alors qu'à l'époque, elles avaient beau être moches (et la lead singer dans l'église est vraiment pas gâtée avec ses dents tordues, ses cicatrices d'acné et sa mâchoire de traviole) elles avaient un truc : le blues et la soul.
Beaucoup de plaisir à voir le (trop court) passage d'Albert King qui apprend au public ce qu'est le blues, même chose pour Luther Ingram le lover adultère. Les Bar-Kays ont un look incroyable avec débardeur en chaine dorée et afro blanche pour un "Son of Shaft" (samplé par Benny B ahah) vraiment funky. On concluera d'ailleurs sur le Black Moses himself, lui aussi en marcel de chaines dorées, lunettes inamovibles et charisme indéniable. Son arrivée se fait en grande pompe avec annonce de Jesse Jackson comme quoi si le public débordait sur le terrain, Ike reprenait sa caisse pour se barrer. La star quoi. Et "Shaf" sur scène ça envoie, tout comme l'autre morceau interprété "Soulville".
Mais je m'en voudrais d'oublier un, si ce n'est, LE meilleur moment du festival avec le passage de Monsieur Rufus Thomas. Incroyable le papa de Carla. Il arrive en marchant comme un pingouin, tout habillé de rose : bermuda, cape, bottes... Une touche terrible dont il plaisantera avec le public. Il harangue le public avec un regard halluciné et un sourire complice, désespère Melvin Van Peebles (l'organisateur du festival) en faisant descendre le public sur la pelouse, passe un bon moment à se foutre de la gueule d'un récalcitrant bien allumé qui sera finalement raccompagné par une foule parfaitement auto-disciplinée (c'en est choquant tellement ça se passe bien dans le meilleur des mondes possibles, sans le moindre débordement ou désobéissance). Et quand il finit son tour de chant par son fameux "Funky Chicken", c'est fabuleux.
Intéressant donc pour ses images d'époque, ses témoignages du "petit peuple", pour l'humour de Pryor, pour la présence de Rufus Thomas, pour l'espoir, le bonheur et la joie de vivre des spectateurs (ah les danses de malade !), ça vaut vraiment le détour !