Better call Saule
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We a l'avantage de ne pas mentir sur son titre, ou plutôt sur son sous-titre (Une odyssée d'été en quatre parties). Il raconte l'été de 7 jeunes adultes déterminés à passer les deux meilleurs mois de leur vie, et s'attarde précisément sur quatre d'entre eux. En quatre parties, qui se répondent les unes aux autres.
Le procédé fait forcément penser au Park Chan Wook de JSA ou Mademoiselle. Chaque changement de perspective enrichit encore plus l'intrigue. Sauf qu'ici, le film n'en fait usage que pour approfondir ses personnages. Et c'est ça qui en fait une oeuvre dingue, unique et glaçante.
Soyez prévenus: le portrait que Rene Eller et Elvis Peeters font de la jeunesse est sans concessions. Au fur et à mesure du bal des points de vue, la futilité apparente des bêtises adolescentes fond comme neige au soleil, les scènes choc s'accumulent et la photo, naturelle et attrayante à première vue, apparaît bien vite très froide.
Certes, les personnages se moquent bien d'une morale qu'ils attribuent à leurs parents ou au politique du coin. Mais là n'est pas le problème. Leur innocence s'évanouit en même temps que celle du spectateur médusé car ce qui se trame en réalité, c'est la construction d'une mécanique d'oppression de plus en plus infernale. Loin d'être réac', le script s'emploie à dépasser la vision finalement assez classique d'une jeunesse incomprise pour exposer une dynamique de groupe destructrice.
La narration plonge sans filets dans la psyché de ces protagonistes qui, même s'ils commettent des actes parfois extrêmes, ne sont jamais motivés par des mauvaises intentions. Mais c'est bien connu: ces dernières pavent les enfers. Chapitre après chapitres, les façades que ces jeunes construisent contre leurs aînés ou leurs semblables sautent. La violence de cette histoire n'est plus que la somme de petites violences individuelles qui créent une hiérarchie terrifiante au niveau psychologique, dans un groupe qui semble pourtant, dans les premières minutes de film, être très disparate. L'individualité de chacun ressort, et l'illusion du groupe disparaît, sans qu'eux-même en aient conscience.
Vrai leader de la terrible entreprise qu'est devenue ce groupe d'amis, Thomas est par exemple décrit au début du film par son compagnon comme "le macho du groupe". Derrière cette formulation passe-partout se cache une personnalité torturée, qui utilise des instruments de sa propre humiliation (le pic de glace) pour faire du mal à son entourage. Thomas n'est pas le Bad guy de We, il n'est qu'un très gros rouage dans la machine de la domination, et le twist final finit de ne pas limiter le mal aux 7 adolescents.
Il serait tentant de comparer Rene Eller à d'autres cinéastes. On pense à un croisement loufoque entre les cinémas de Sofia Coppola et Lars Von Trier, ou une version condensée des thèmes de Gus Van Sant. Mais We est une vraie curiosité qui ose fonder son propos et sa technique sur ses personnages, qu'on apprend à comprendre. Très pertinent dans son pessimisme, il ne prend jamais de pincettes pour rester subtil et ne se cantonne pas à la description d'une génération pour proposer une vision très marquante des sociétés humaines, ponctuée de vrais moments de cinéma.
Si jamais un distributeur français ose un jour larguer une bombe pareille sur le circuit français habitué aux fables humanistes, pas sûr que l'opération passe inaperçue.
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le 12 déc. 2018
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