I really need to talk to Kevin
We need to talk about Kevin, c'est l'histoire de l'obsession, de la culpabilité obsessive d'une mère. Au delà, de l'événement tragique qui cristallise ce sentiment, Eva, mère de ce monstre magnifique prénommé Kevin, semble tout au long du film chercher frénétiquement le nœud dans leur relation, le sens de ce déchaînement qu'elle reconstruit par bribe. Le montage nous rend d'ailleurs bien cette reconstruction, parcellaire, décousue et qui élude l'horreur comme un blocage, un refus de la réalité.
D'aussi loin qu'elle se souvienne, la relation d'Eva à son fils a toujours été faite de souffrance : accouchement dans la douleur, pleurs insupportables, continus et surtout confrontation permanente depuis que Kevin est en age de réfléchir. Ce qui obsède Eva, c'est cette communication rompue, inexistante avec son fils en lieu et place du sacro-saint lien maternel. Car malgré tous ses efforts, elle n'est jamais parvenue ni à comprendre son fils, ni à communiquer avec lui. C'est pourtant grâce à elle que nous découvrons Kevin, personnage énigmatique, sociopathe, désabusé. Et pourtant !
Kevin est loin d'être si détaché que ça, au contraire ! Car si Eva tente en vain d'entrer en relation (positivement) avec lui, lui n'a de cesse de rentrer en relation (négativement) avec elle. Ses mauvaises blagues, sa cruauté lui sont souvent destinées personnellement même quand une tierce personne est en cause. De même (et peut être est-ce anecdotique), Kevin devient archer à cause d'une fascination pour Robin des Bois, l'histoire lue lors du seul moment de complicité entre eux deux. Enfin, si la relation père/fils paraît plus saine, il n'en est rien puisque malgré une relation qui paraît apaisée, Kevin abat son père (et sa sœur) sans état d'âme. Qui laisse-t-il en vie ? Sa mère. À qui laisse-t-il le soin de découvrir le meurtre de sa famille ? Sa mère. Qui doit supporter les conséquences de cet acte irréparable ? Sa mère. Dans cette haine, dans cette fascination, dans ce jeu qu'il instaure entre eux, seule sa relation à sa mère est vraie, lui qui tente par tous les moyens de l'atteindre en plein cœur.
Pour toutes ces raisons, le personnages de Kevin ne semble ni pas amoral, ni purement monstrueux. Même quand il claironne que ce qu'il fait "n'a pas d'intérêt et que c'est ça l'intérêt", il jubile, il ressent des sentiments, il a une motivation, aussi obscure soit-elle pour Eva qui est prête à tout pour comprendre. Prête à se faire maltraiter par les parents des victimes, prête à endurer de longues sessions silencieuses au parloir, prête, enfin, à mettre sa vie entre parenthèse.
La fin du film referme donc cette parenthèse - plus subtilement d'ailleurs qu'en donnant une explication/ une raison à ce geste qui ne peut pas en avoir vraiment. Cette dernière confrontation, donc, résout la question pour Eva. D'abord parce que Kevin admet une incertitude et sort de cette détermination impénétrable de laquelle elle était exclue depuis toujours; mais plus encore parce que les raisons pour lesquelles il a agit commence à lui sembler incompréhensible et en cela il rejoint sa mère. C'est donc peut être le début d'un renouveau du dialogue entre Kevin et sa mère ? So Eva, maybe what you really need is to talk TO kevin ?