Sorti après l'échec et l'impact tourmenté de La Chinoise, Week-end est un méchant piège monté par Godard. L'homme de Pierrot le fou est alors au sommet de sa gloire et surtout de sa visibilité – il sera marginalisé absolument dans une décennie. Au départ dans Week-end il semble faire vaguement semblant de réaliser un film normal, avec narration continue et événements ou buts clairs. Pourtant la musique intervient à des moments incongrus, puis s'étale, couvre des dialogues en plein milieu de séquence. Et ça dure et les dialogues continuent ; décousus, des logorrhées à base d'expériences sexuelles, où le locuteur rebondit sans fin et sans intensité.
Ce n'est pas toujours bien audible et lorsqu'on tend l'oreille il n'y a rien à y gagner. Le film sera une succession de moments longs souvent volontairement irritants. L'exemple le plus édifiant est au début : c'est le temps de l'embouteillage et des klaxons sur la route (avec post-synchro crispée édifiante pour insister sur l'absurdité dévastatrice). La trame est idiote et aurait pu servir à une comédie, comme le tandem principal : Jean Yanne (futur Boucher) et Mireille Darc, populaires et aux costumes habituellement positifs ou gentiment appréciables. Jeunes adultes bénis des Trente Glorieuses et bourgeois aux avant-postes pour profiter de la société de loisir qui s'ouvre, ils traverseront la France sans prêter attention aux troubles sociaux et aux revendications omniprésentes (la dernière partie est braquée sur une insurrection dans les bois avec hippie-punks coco-primitivistes).
C'est la jeune droite molle qui ne sent peut-être pas et dans tous les cas se fout du vent qui souffle dans la vie sociale et politique – sinon dans l'Histoire ; elle n'en retient que les bénéfices présents et s'y abonne doctement. Ceux qui s'agitent ne valent pas nécessairement mieux. Ils sont accrochés à des combats plus qu'intéressés et n'ont pas de problème pour faire preuve d'hypocrisie ; Yanne et Darc ont le tort d'être indifférents mais au moins ils ne perdent pas de temps à faire la leçon et ne s'étalent pas en démonstrations. Cet opus est hautement politisé mais guère militant, loin de Deux ou trois choses que je sais d'elle produit au même moment. C'est surtout un objet d'amusement (le pic humoristique est la séquence du 'stop' après l'accident), avec citations à foison, plus pour faire de l'effet et remplir la barque qu'approfondir ou défendre. Quand les échanges se font distinctes, c'est pour accoucher ce genre de niaiseries : « il a dit 'on est tous frères' » ; « c'est pas Marx, c'est un autre communiste qui l'a dit : c'est Jésus ».
Au milieu des banalités utilitaires et exclamations foutraques, les exhumeurs devront apprécier quelques bons mots et des laïus éparses sur le christianisme, la morale et la lutte des classes. Le soulèvement Noir et la projection assortie couperont quelques instants les fadaises de doctrinaires gauchistes. Ce chaos posé bien que teigneux est une première vision d'apocalypse ordinaire par Godard avant ses exploits de fin de carrière (et de vie) Film Socialisme et Adieu au langage, costauds en terme de désintégration assumée. Godard l'avant-gardiste voyait déjà en 1967 les nouvelles ligues gauchistes comme des gesticulateurs aux chances d'accomplissement nulles, régression et endormissement bruyant mis à part. Si cette déglinguerie multiple laisse froid -et il y a de quoi- il faudra se satisfaire des performances ahuries et des joies neurasthéniques, avec Mozart à la ferme ou la pouffe parisienne en sang et en furie contre le prolétariat franchouillard.
https://zogarok.wordpress.com/2017/02/11/week-end-godard/