C’est Beautiful thing chez les presque quarantenaires (le contexte social en moins, encore que Nottingham n’ait rien à envier aux banlieues londoniennes) ou même 20 ans plus tard, style deux grands garçons qui se croisent un soir en boîte, qui se plaisent (un long regard intéressé, quelques sourires), qui baisent, petit-déjeunent ensemble, s’échangent leur portable puis essaient de construire un truc le temps d’un week-end. On n’est pas ici dans la fougue pailletée de Priscilla ou la romance très "chemise à carreaux" de Brokeback Mountain, plutôt dans la vraie vie de tous les vrais jours qui passent, partition minimaliste sur nos élans de cœurs et nos façons de voir, d’envisager une possible vie à deux ; homo comme hétéro, la tâche est rude de toute façon.
Après donc les premiers baisers et les premiers sentiments (Jamie et Ste continuent encore de danser sur Dream a little dream of me…), voici l’heure des bilans et des désillusions (et c’est pas jojo). Entre plans-culs et plans qui ne riment à rien, pétards et confidences, quelque chose à imaginer, à vouloir, ici ou ailleurs, Russell, qui s’assume à moitié, et Glen, du genre extraverti, tentent un rapprochement existentiel, chacun avec ses blessures (parents absents, ex destructeur) et chacun avec ses envies. Certes, le film d’Andrew Haigh n’aborde rien de nouveau en soi et semble disserter sur des sujets rebattus, mais il aborde justement ces différents sujets (coming out, difficulté des rapports amoureux…) avec une modestie, une franchise et une intelligence extraordinaires.
On est littéralement emporté par le flot incessant des dialogues (subtils et drôles, sensibles et savoureux), conquis par la mélodie des rires, des murmures et des coups de gueule. Week-end doit aussi beaucoup (énormément) à ses deux interprètes, confondants de naturel et d’ingénuité (les acteurs de Polisse devraient en prendre de la graine, eux qui cherchaient seulement à saisir le naturel, mais jamais à l’incarner), et dont la belle complicité est d’une évidence, d’une authenticité lumineuses (un long travail de préparation, hors-tournage, a été effectué par Haigh avec Tom Cullen et Chris New). Pas de pédales douces ni de cage aux folles donc : ici on est dans une espèce de "normalité" revendiquée, ici on est dans l’intime (on dirait un couple filmé à son insu), dans le pudique, limite le film de chambre.
Week-end peut décourager, Week-end peut ne pas plaire parce qu’il ne s’y passe pas grand-chose, juste deux types qui parlent (l’un enregistre ses aventures sur magnétophone, l'autre les consigne par écrit sur son ordinateur), envisagent un éventuel futur où l'on n'aurait plus peur de s'engager et où l'on pourrait dire "Je t'aime" devant tout le monde sans se faire traiter de pédé. Le thème, ouvert, de la brève rencontre et de sa concrétisation reste l’axe le plus important, le plus vibrant du film, dissocié en partie de n’importe quelle sexualité pour une plus large universalité (que certains réduiront à une soi-disant "pédagogie"). C’est l’amour simplement, au-delà des genres.
Week-end, plein de couleurs et de lumières chaleureuses, évoque ces nombreuses comédies romantiques à l’américaine, mais sans jamais surligner et/ou schématiser ses intentions (comme elles ont tendance à le faire parfois). De, récemment, Last chance for love à Gigantic en passant par 500 jours ensemble ou Blue Valentine, c’est l’amour encore et l’amour toujours (sauf que là c’est deux mecs, big deal). D’un flirt rapide à une hypothétique relation, Russell et Glen, sans violons ni bravos, apprennent à se connaître en faisant avec, avec leurs sentiments, avec leur caractère, et avec leurs angoisses aussi parce que tomber amoureux (même en deux jours) implique, peut-être à un moment, d’avoir le cœur brisé, à découvert ("Ce n'était pas tant la souffrance qui me faisait peur que la déception, encore une fois" - Michel Tremblay, Le cœur découvert). Francesca et Robert, eux (Sur la route de Madison), en firent la brûlante expérience en à peine quatre jours, achevés finalement dans la douleur un après-midi de pluie.
On pense souvent à Oslo, 31 août (pas de musique, émotions à fleur de peau, grâce désenchantée, ballade à vélo, mise en scène fragile) et à Beginners (magie de la première rencontre, découverte de l’autre, charme fou) tout au long de ce joli et tendre Week-end. Une dernière scène sur le quai d’une gare, hyper sobre et bouleversante, vient nous chambouler définitivement (et de verser alors sa petite larme, discrètement, un peu gêné d’avoir été chopé comme un bleu). Terrible constat d’impouvoir, de solitude, mais qui rend ce Week-end unique et si attachant. Et par la fenêtre ouverte, Russell écoute les bruits de la ville, la rumeur des automobiles sur les avenues tristes avec ces gens sur les à-côtés, pressés, comme en pâture, et sa voix résonne pour longtemps jusqu’à l’horizon, un point vierge.