Le récent Dunkerque aura eu le mérite de réactiver la mémoire de ce film français qui aborde exactement le même sujet, à savoir le reflux britannique sur le sol français suite à l’offensive ratée de 1940. Fond similaire, forme radicalement différente. Ici, c’est la destinée d’un soldat, à une échelle humaine et individuelle, qui sera suivie, dans un périple chaotique. La tonalité est dans un premier lieu assez acide, la gouaille de Belmondo faisant mouche pour constater les dégâts avec un certain humour noir. Son week-end est avant tout une galerie de rencontres, qui commence sur un terrain officiel, celui de l’armée par des échanges avec des frères d’armes, la hiérarchie ou un aumônier qui disent tous à leur manière l’absurde la situation. Pris en tenaille entre une terre aux mains de l’ennemi, les bombardements réguliers et la mer avare en embarcations pour la liberté, les soldats sont de toutes parts contraints à accuser le coup de la déroute.
L’intelligence du récit – et sa grande noirceur – provient surtout de la cartographie inerte qu’il dessine : celle d’un piège dans lequel on tourne avant tout en rond. Avoir humanisé son protagoniste permet de donner chair à la camaraderie entre soldats, et, partant, de charger en émotion leur disparition, mais aussi de dénoncer avec force l’absurdité d’une telle situation. La première séquence où une charrette portant le cadavre d’une femme tirée par un soldat croise la jeep d’un haut gradé résume parfaitement cette obscénité du protocole face au désastre du réel.
Belmondo porte ainsi son solaire instinct de survie sur un champ de ruine, faisant le pari de rester vivant, croisant sur sa route un panorama exhaustif des rôles que la guerre impose : ceux qui décident, ceux qui profitent (une charge violente et courageuse est portée contre les soldats français tentant de violer une civile), ceux qui subissent. La rencontre avec une jeune femme résolue à rester dans sa maison à l’épreuve des bombardements devient une sorte d’allégorie du sort des civils, et enclenche une relation complexe. On pense un peu à l’ambivalence qu’on retrouvera dans le très réussi Lacombe Lucien de Louis Malle, les personnages ne bénéficiant jamais de facilités d’écriture héroïque pour gommer leur humanité.
C’est là le cœur même de ce singulier film de guerre : laisser sa puissance à un contexte aussi mutique que dévastateur, refuser la performance pour faire surgir, dans la perte, ce qui fait le propre de l’homme. L’humour et la causticité du début teintent ainsi d’une charge profondément touchante la tragédie finale, dans laquelle les personnes font bien plus vibrer que les bombes.
(7.5/10)