Le centre de Sangatte a été fermé et c'est ainsi que dans Calais une foule d'émigrants erre dans les rues dans un état de dénuement total, subissant les contrôles et les sarcasmes des autorités et le mépris d'une certaine catégorie de la population locale. Seuls quelques bénévoles tentent de leur apporter un peu de chaleur humaine malgré les interdits d'une loi répressive. Simon qui est maître nageur dans une piscine de Calais est sur le point de divorcer de Marion laquelle ne compte pas son temps pour venir en aide et porter assistance aux clandestins. Toujours amoureux il aimerait reconquérir le coeur de sa femme. L'occasion va peut-être lui en être donnée lors d'une rencontre avec Bilal, un jeune kurde de dix-sept ans. Celui-ci, comme tant d'autres, vient d'effectuer quatre mille kilomètres dans d'atroces conditions afin de rejoindre l'Angleterre où il espère retrouver Mina sa bien aimée et trouver du travail. Malheureusement l'entreprise échoue à Calais et Bilal qui veut jouer sa chance à fond espère traverser la Manche à la nage. Il va donc à la piscine suivre quelques cours et Simon va le prendre en main, l'héberger et s'attacher à ce jeune homme. Il va tout mettre en oeuvre pour que Bilal puisse atteindre son objectif malgré les menaces et les tracasseries incessantes de ses voisins et de la police.
Dans la nuit noire et sous la pluie, de longues files de camions sont en attente afin de partir vers l'Angleterre. Cachés dans les remorques des émigrants qui ont tout quitté croyant partir vers un hypothétique eldorado essayent de sauter d'un camion à l'autre et tentent d'échapper à de fatidiques arrestations. Les véhicules sont contrôlés, fouillés par les policiers accompagnés de chiens. Certains émigrants comme Bilal craquent. Ils ont usé leurs dernières forces et voient leurs maigres espoirs de liberté s'arrêter net.
Calais sera leur terminus. Ils erreront comme tant d'autres, tenteront de survivre sous le regard parfois méprisant d'une population lassée de cette atmosphère de misère, de règlements de comptes et de larcins. Quelques bénévoles sensibilisés par cette extrême détresse tentent de nourrir dehors et par tous les temps ces êtres perdus. La police surveille et fiche ces personnes qui luttent comme elles peuvent afin d'éviter la mort de ces émigrants. Marion fait partie de ces gens dévoués et courageux. Elle va divorcer de Simon le maître nageur qui lui ne se soucie guère à ce moment de la misère environnante. Son proche divorce le mine, il souffre en silence et l'arrivée dans sa vie de Bilal et d'un compagnon d'infortune va tout bouleverser. C'est sous le regard bienveillant de Simon que Bilal s'entraîne comme un fou à la piscine avec la ferme intention de traverser la Manche à la nage. Par sa ténacité très vite il se sent prêt à rejoindre Mina à Londres. Mais de ce côté, les nouvelles ne sont pas bonnes car la jeune fille va se retrouver mariée de force par son père avec un restaurateur, un homme de sa culture en pleine réussite. Une véritable complicité s'établit alors entre Bilal et Simon qui, dénoncé par son voisin, se retrouve en garde à vue pour avoir offert un refuge à un clandestin mais qu'importe, la lutte continue. Le jeune Bilal jugeant le moment venu de traverser la Manche à la nage s'élance alors vers sa destinée et vers sa bien aimée mais attention car la police patrouille sur terre comme sur mer...
C'est un honneur de commenter une oeuvre aussi aboutie que celle-ci. Le réalisateur Philippe Lioret lequel vient récemment de se faire brillamment remarquer par son film "Je vais bien, ne t'en fais pas" rencontre l'écrivain Olivier Adam auteur du livre "A l'abri de rien" dont le sujet relate l'histoire d'une femme qui porte assistance aux clandestins laissés sans toit depuis la fermeture de Sangatte. Le metteur en scène part de cette histoire pour nous entraîner dans l'une des pires réalités que connaît la France, patrie des "Droits de l'Homme". Sangatte est supprimé jetant à la rue, dans les bois, sans aucune hygiène et nourriture, quantités de gens désespérés et livrés à eux-mêmes.
Quel drôle de climat que celui que fait régner un gouvernement demandant aux autorités concernées de réprimer les bénévoles qui tentent de rendre un peu moins atroce des existences broyées par les conséquences politico-économiques d'un monde en folie! Sur le paillasson du voisin de Simon qui prend soin de son petit caniche, il est marqué "welcome". Et pourtant ce voisin "accueillant" va dénoncer à la police la présence de clandestins chez Simon. Un tel contexte mène à des situations ignobles qui nous font penser à des moments peu glorieux que la France connut naguère. Dénonciations, humiliations, misère, mafia et racisme, voici les conséquences d'un problème humanitaire que les gouvernements n'ont pas su appréhender au regard de l'humanitaire. L'honneur de la France et des autres pays concernés est en jeu. Il faudra bien qu'un jour cette question soit réglée et que ces personnes désespérées retrouvent toit, dignité et famille. Il faudra bien se mobiliser aussi pour ces personnes dont la situation empire de jour en jour. Il faudra bien que l'on s'intéresse un peu plus aux passeurs qu'aux bénévoles qui ne font en fait que porter assistance à personnes en danger. Allons assez d'hypocrisie! La France n'est pas le pays aussi acueillant et humanitaire que l'on veut bien nous faire croire car la précarité, la misère et la détresse gagnent sournoisement du terrain.
Philippe Lioret a réalisé un film que chacun se doit d'aller voir si l'on a pas peur de regarder en face la vérité qui dérange. Vincent Lindon est absolument admirable dans son personnage, passant de l'indifférence à l'affection pour son protégé, le préparant alors afin que, comme un oiseau, il prenne son envol vers des horizons meilleurs. Firat Ayverdi compose avec beaucoup d'émotion ce gamin de dix-sept ans privé de liberté, privé de son amour et sans cesse rejeté ou traqué. Audrey Dana est excellente dans son rôle de femme combattante, peut-être encore amoureuse et en tout cas sensible à la "métamorphose" de son ex- mari. On vit avec beaucoup de tendresse l'épreuve que subit Mina, Derya Ayverdi, la bien aimée de Bilal, victime elle aussi de la misère et d'une culture rigide imposée par son père. J'ai également apprécié la musique composée par Wojciech Kilar, Nicola Piovani et Armand Amar qui colle avec beaucoup de subtilité aux situations et aux images très réalistes.
Je disais dans mon article qu'il s'agit là d'un film abouti et je le répète car rarement une oeuvre n'a donné autant à méditer sur une terrible situation d'actualité dont on ne parle pas à sa juste mesure. Là-bas, tout près de chez nous, chaque jour des gens meurent de faim, d'épuisement, de maladie. Si ce film peut servir à faire connaître auprès du plus grand nombre ce "cancer" qui ronge non seulement Calais mais la France toute entière, Philippe Lioret défenseur des causes nobles, comme Costa-Gavras, aura atteint son but. Personnellement, il m'a convaincu et bouleversé, ce film est un chef-d'oeuvre absolu !