1957 - 1961 - 2021

Contrairement à ce que beaucoup pensent West Side Story version 2021 n’est pas un remake du film de Robert Wise de 1961. Non ! Steven Spielberg nous offre en réalité, une nouvelle adaptation de la comédie musicale de 1957 que l’on doit à Arthur Laurents (livret), Stephen Sondheim (paroles) et Leonard Bernstein (musique). Chef d’œuvre en son temps, son statut culte perdure encore aujourd’hui avec un dernier revival en date de 2019 sur Broadway (perturbé par une pandémie mondiale que nous ne citerons pas). Le film de 1961 aura lui aussi marqué son époque acquérant un statut de film culte multirécompensé aux Oscars et j’espère que la version de Steven Spielberg suivra la même trajectoire tant ce film est une réussite en tout point.

Il s’agissait pour Steven Spielberg d’un projet qui lui tenait particulièrement à cœur et qu’il a dédié à la mémoire de son père. Il est complètement tombé amoureux de West Side Story alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années lorsqu’il a découvert cette œuvre, ‘’first piece of popular music our family ever allowed into the home’’ selon ses dires.
Alors West Side Story, qu’est-ce que c’est ? Sorte de relecture de Roméo et Juliette ou les Montaigu et les Capulet sont remplacés par les Jets et les Sharks, deux bandes rivales s’affrontant pour le contrôle de l’Upper West Side du New York des années 50, West Side Story est le récit du destin tragique de Tony (fondateur des Jets) et Maria (petite sœur de Bernardo, chef des Sharks) et de leur amour impossible. Impossible pourquoi ? Parce qu’un fossé sociétal oppose les Jets et les Sharks. D’un côté les (soit disant) ‘’vrais américains’’ pourtant issus de la descendance d’immigrés européens, de l’autre côté, les portoricains venus vivre leur American Dream. Au-delà d’une histoire d’amour, il s’agit surtout d’un combat politique et social.

Une question persiste : est-ce vraiment utile de faire une nouvelle adaptation / remake d’une œuvre du milieu du XXè siècle aujourd’hui en la plaçant exactement dans le même contexte ? Alors déjà, cette question n’est, à mon avis, pas du tout légitime car qui peut juger de l’utilité d’un film ? Encore faut-t-il qu’un film ait une utilité. La seule question à se poser est : le film est-il bon ou bien est-il mauvais ? La réponse est très simple : le West Side Story de Steven Spielberg est un chef-d’œuvre.
Le film a l’avantage du recul historique et ce qui était vrai en 1957 ou en 1961 l’est toujours aujourd'hui, surtout en ce qui concerne la pauvreté, l’immigration, l’exclusion, la peur de l’autre… Il ne faut pas oublier que le développement de ce West Side Story s’est effectué sous l’Amérique de Trump, époque où la fracture sociale est d’autant plus importante aux Etats-Unis. La division entre Jets et Sharks n’a que rarement été aussi actuelle. Même si Spielberg filme ici le passé, son récit reste incroyablement moderne et contemporain.

Au-delà de son propos, le West Side Story de Steven Spielberg est une pure réussite technique. Contrairement à la comédie musicale dont l’action doit se cantonner aux limites de la scène, et à l’adaptation de 1961 et sa caméra relativement statique et spectatrice, ici, la caméra danse littéralement avec les acteurs pour sublimer les chorégraphies magnifiques et ultra dynamiques, ainsi que les nombreux décors où elles se déroulent. Un soin tout particulier est apporter aux lumières, aux ombres et aux couleurs qui sont tout simplement bluffant de beauté. Quand la façon dont est éclairée une scène arrive à émouvoir aux larmes, je pense pouvoir dire sans trop m’avancer que le travail est bien fait.
L’ensemble du casting de cette nouvelle version est très bon et les interprétations sont à saluer. Ansel Elgort et Rachel Zegler forment un couple Tony/Maria très crédible qui n’a rien à envier à Natalie Wood et Richard Beymer. Ariana DeBose est l’une des grandes révélations et est absolument parfaite dans le rôle d’Anita. Et c’est un réel plaisir de retrouver Rita Moreno, 60 ans après avoir incarné Anita, dans un rôle alternatif à celui de Doc, tout en émotion. C’est un véritable bonheur pour les oreilles et pour le cœur de l’entendre interpréter ‘Somewhere’, là où à l’origine, la chanson était chantée par Tony et Maria. Cela lui ajoute encore plus d’émotion et d’universalité.

Les musiques de Leonard Bernstein et les paroles de Stephen Sondheim n’ont rien perdu de leur superbe et les mots résonnent d’autant plus fort que Stephen Sondheim est décédé deux semaines avant la sortie du film. Le film lui a été présenté avant son décès et il a salué la qualité de celui-ci. Avec sa version de West Side Story, Steven Spielberg réalise l’un de ses rêves tout en embrassant son matériau de base et en respectant l’héritage de l’adaptation de Robert Wise de 1961. Sa vision apporte quelques changements, tous bienvenues, qui servent surtout à appuyer les forces de ce chef d’œuvre qu’est West Side Story (toutes versions confondues).
Peut-être ne suis-je pas très objectif en grand fan de comédies musicales et considérant Steven Spielberg comme l’un des plus grands réalisateurs de cinéma de ce monde, mais West Side Story m’a tout simplement bouleversé et est sans conteste le film qui a provoqué en moi les émotions les plus fortes que j’ai pu avoir dans une salle de cinéma cette année.

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