Les hommes de la vallée perdue

La vallée perdue dont il est question ici, c'est celle du petit village de Petrelik, au sud de la Bulgarie, tout près de la frontière avec la Grèce. On y découvre une équipe d'ouvriers allemands chargés de la construction d'un barrage. Un travail pénible, dans la fournaise d'un été continental et sous le regard peu accueillant des locaux qui ne voient pas d'un très bon œil ces étrangers installer leur campement dans leurs montagnes.


Des archétypes du western
C'est dans ce décor original que se déroule le western de Valeska Grisebach, un western moderne qui emprunte au genre la plupart de ses codes.
Les ouvriers allemands, des têtes brulées ayant accepté leur mission contre une rétribution conséquente s’apparentent aux groupes de mercenaires que Sam Peckinpah aimait à mettre en scène. De leur côté, les villageois ne sont pas sans rappeler, par leur méfiance autant que leur nonchalance les paysans mexicains des westerns spaghettis. De même des scènes traditionnelles du western : le feu de camp, la bagarre virile, la partie de poker, la fête de village... sont autant de motifs familiers avec lesquels la réalisatrice semble s'être amusée.


Des enjeux contemporains
Mais le film ne se réduit pas, loin de là, à une parodie du genre ou à un simple exercice de style.
Valeska Grisebach, avec son histoire, aborde des thèmes qui n'auraient pas dépareillé chez Ford ou Boetticher : la lutte pour les ressources vitales (l'eau), la méfiance entre les communautés, l'opposition entre l'individu et la collectivité, mais ici pour interroger des maux de notre société bien contemporaine : le pillage des pays pauvres par les pays riches, la souffrance identitaire des exilés, les relations hommes/femmes et la difficulté à se comprendre au delà des différences. Sauf que le regard de la réalisatrice est tout sauf pessimiste. Elle permet à ses personnages de dépasser leurs antagonismes. Et surtout, sa mise en scène est toute en nuances.


Des personnages complexes
Loin de Valeska Grisebach l'idée de radicaliser ses personnages pour les rendre plus spectaculaires. Mais en s'éloignant du manichéisme qui prévaut dans la plupart des westerns, ses personnages gagnent autant en réalisme qu'en subtilité. Ainsi, les querelles entre les deux groupes ne finissent pas en bain de sang, chacun trouvant même plus d'arrangements entre eux qu'au sein de leur propre communauté. En témoigne ce travail de la réalisatrice sur le langage avec ces scènes, nombreuses, où Bulgares et Allemands réussissent à se comprendre au delà de la barrière de la langue, non pas avec les mots mais grâce aux silences entre les mots. Quant au duel qui se dessine dans le scénario, il n'oppose pas le bien au mal mais deux figures complexes, Meinhard et Vincent, qui échappent tous deux à toute catégorisation.
Humanité et complexité caractérisent la plupart des personnages du film - joués par des acteurs non professionnels - mais surtout Meinhard, ce poor lonesome soldier dont la sérénité à toute épreuve n'est que la face visible d'une personnalité beaucoup plus tourmentée. Véritable "trouvaille" de la réalisatrice, il habite littéralement le film. Un personnage attachant, troublant, qu'on abandonne avec regret à la frontière de sa vie, dans une irrésolution inconfortable (pour le spectateur) qui n'est pas sans rappeler la dernière scène de Désir(s) le précédent film de Valeska Grisebach (2006).
Très réussi.


Personnages/interprétation : 9/10
Histoire/scénario : 8/10
Réalisation/mise en scène : 9/10


9/10

Theloma
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Lumière d'été, Films : mon top 100, Les plus belles affiches de films, Frères au cinéma et Lost in translation ?

Créée

le 24 nov. 2017

Critique lue 1.1K fois

19 j'aime

13 commentaires

Theloma

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

19
13

D'autres avis sur Western

Western
AnneSchneider
10

Western à l'Est

Du western, la réalisatrice allemande Valeska Grisebach, déjà repérée pour "Désirs" ("Sehnsucht", 2007), a voulu respecter, dans ce nouveau film, certains codes : un territoire essentiellement...

le 15 oct. 2017

15 j'aime

8

Western
Roinron
7

Western choucroute ? Nein danke !

Autant vous prévenir tout de suite, Western de Valeska Brisebach n’est pas un film grand public et n’est pas non plus un western classique transposé dans l’Europe d’aujourd’hui. Ce n’est pas non...

le 26 nov. 2017

7 j'aime

21

Western
Cinephile-doux
5

Langues étrangères

Western appartient à un type de cinéma de plus en plus fréquent sur les écrans : aspect documentaire derrière une situation de fiction, acteurs amateurs, narration anti-spectaculaire. Dans le film de...

le 5 nov. 2017

6 j'aime

2

Du même critique

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

108 j'aime

33

Ad Astra
Theloma
5

La gravité et la pesanteur

La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...

le 18 sept. 2019

97 j'aime

55

Life - Origine inconnue
Theloma
7

Martien go home

Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...

le 21 avr. 2017

81 j'aime

17