Après ses périples londoniens et ibériques, Woody Allen est de retour à Manhattan. Personnellement, Je trouve cela réjouissant car j’aime beaucoup la manière dont il filme sa ville. Il y a tellement d’amour, de douceur, de sensibilité dans le regard, de la poésie dans les couleurs, une réelle joie de vivre. La visite est emballante et on peut même, sur fond de jazz ou de musique classique, apercevoir furtivement les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics. Elle est belle Big Apple vu par Allen. Certes, il ne faut pas aller voir « Whatever Works » avec une envie folle de découvrir un genre nouveau, d’explorer des terres inconnues, d’être le spectateur d’un revirement total dans la filmographie de Allen mais plutôt avec ce plaisir de retrouver ce personnage hypocondriaque, égocentrique, névrosé, chétif que l’on rencontre très souvent dans ses longs métrages. Mais aussi pour cette magie du verbe. Je suis toujours soufflé par ses dialogues. Des phrases parfois tellement flagrantes, avec une impression d’être tellement simplistes que personne ne s’y risquerait, et c’est là l’énormité, c’est que, lui, en toute décontraction, il vous les balance à la figure. Et ensuite, baba je suis, face à ce cynisme qu’il manie si bien. Et dans « Whatever Works », il est présent en force. (« Si vous êtes de ces crétins qui venez au cinéma pour vous sentir bien, allez plutôt vous faire masser les pieds » ; « Si tu veux voir quelque chose de joyeux, va plutôt visiter le musée de l’Holocauste »). Cela en ferait hurler plus d’un à l’antisémitisme mais dans la bouche de Allen, c’est du cristal. Ici, le personnage central, Boris Yellnikoff est un génie, physicien (qui a raté de peu le prix nobel mais uniquement pour raisons politiques) qui n’hésite pas à discuter avec le spectateur, ce qui ajoute en proximité. Boris exècre la race humaine mais il nous cause à nous. Nous étale ses problèmes, ses questions, ses inquiétudes, ses grandes théories. Evidemment, un tel personnage au cinéma est un délice. Déjà du point de vue que Boris est assez semblable à Woody, avec un peu d’exagération mais surtout par le fait que tout le comique trouve son point de départ chez lui. C’est son interaction avec le monde et les autres personnages qui provoque le rire. Le double « allénien » donne des cours d’échec à de jeunes enfants à coup d’insultes et n’hésite pas à dire à une femme, venue témoigner son mécontentement, que si son mari ne l’accompagne pas, c’est qu’il a mieux à faire avec les seins de deux stripteaseuses. Et des exemples, il y en a des tonnes.
Outre l’aspect comique, il y a cette constante évolution dans le rapport au monde. Au départ, l’univers de Boris est un univers cloisonné. Une tour imprenable. Mais peu à peu, le tout s’effrite au contact d’éléments extérieurs (l’ingénue qui deviendra sa femme, ses beaux-parents…). La scène finale est assez révélatrice dans ce sens. Le film se termine sur un tableau festif dans lequel Boris fête le nouvel an dans son appartement en compagnie de sa nouvelle compagne, son ex femme, le nouveau petit ami de celle-ci, son ex belle mère et ses deux amants, son beau père et son amant. Pluralité dans les combinaisons mais surtout, l’homme n’est plus seul, ne se sent plus alliéné et Allen ouvre encore plus grand son cinéma sur un regard explorateur… L’homme est en quête, revoit ses théories et à l’écran, ça pète le feu ! Je terminerai, sur le ton résolument positif malgré la thématique du suicide. Boris tentera par deux fois de mettre fin à ses jours et le deuxième essai enchaîne dans la seconde, le dramatique et le comique puisque Boris passe par la fenêtre et finit sa chute sur une médium. Le charme opère entre la science et la divination même si le scepticisme et le cynisme refont surface. Boris n’hésitera pas à lui lancer : « Si vous êtes médium, vous auriez du savoir que j’allais vous tomber dessus ». Bref, un film qui fait du bien aux zygomatiques, qui appuie encore plus le fait que Allen est un vrai barjo mais qui me rappelle pourquoi j’aime tant ce mec.