J'ai toujours eu une certaine sympathie pour Michael Moore; de par son ton caustique, sa bonhomie naturelle et l'autocritique qu'il parvenait à faire dans ses premiers reportages. Mais là, je dois avouer que je suis plutôt circonspect fasse au torchon que je viens de voir.


Qu'on se le dise, un Européen moyen n'apprendra certainement pas grand-chose à la sortie du reportage, mais on peut difficilement adresser ce type de reproches, ça fait partie du jeu. Par contre, vu qu'on est en terrain relativement connu, on peut de suite repérer les différentes manipulations et autres raccourcis grossiers qui défilent sous nos yeux. C'est au mieux de l'ignorance, au pire de la malhonnêteté grasse et pernicieuse; et dans tous les cas de la propagande primaire suintant la démagogie.


Moore se met donc une nouvelle fois en scène en partant à la rencontre du Vieux Contient, la fleur au fusil, dans l'optique de "conquérir" une série de mesures politiques qu'il juge pertinent pour le pays de l'Oncle Sam. On croirait un politique en campagne qui fait son petit tour du monde et qui revient faire des leçons avec des recettes magiques dans sa besace. C'est très beau sur le papier, sauf qu'extraire une mesure sans approfondir le contexte environnant qui la soutient est une démarche superficielle et impertinente.


Il ne tarde pas d'ailleurs à donner la couleur. "Je cueille les fleurs, pas les herbes". C'est bien beau d'assumer ses oeillères avec une jolie petite expression, mais ça n'efface pas le résultat biaisé qui découle de cette démarche. Au-delà des clichés disséminés, qu'on peut facilement mettre sur compte de l'humour, Moore esquisse un portrait idyllique aux traits bien trop forcés. Le didactisme outrancier et son émerveillement (faussement) naïf deviennent rapidement irritants : tout répéter plusieurs fois lentement, maintenir une mine déconfite pour marquer la stupéfaction, insérer des vidéos d'ouvriers éclatant de bonheurs...


Moore est non seulement un tendeur de perche de compétition, mais également un directeur de casting de talent qui sait toujours trouver le bon interlocuteur pour révéler la vérité vraie du monde féérique. Un PDG de Ducati certifiant que la rentabilité d'une entreprise est liée au bien-être des employés. D'autres cadres dirigeants affirmant qu'ils sont contents de continuer à payer leurs ouvriers pendant leurs congés (en utilisant une comparaison douteuse sur la musique rendant les vaches laitières plus productives, certes, mais passons, fleurs > herbes). Des représentants de gouvernements qui viennent vanter les mérites de leurs actions politiques. Vous voyez le tableau. Quelle que soit la part de vérité là-dedans, on se doute que ces personnes interrogées vont dresser un portrait reluisant d'eux-mêmes.


De l'extrême sélectivité des exemples "représentatifs" née un sentiment d'incrédulité gênant. De même pour l'omniprésence des hyperboles. Le passage en France est particulièrement savoureux. Pas de queue interminable, on leur apporte l'excise nourriture à table (oui, mais non, pour les plus petits, en grande majorité j'imagine, mais on ne peut pas généraliser cette pratique). Le chef, n'ayant jamais goûté à un burger, jure ne cuisiner des frites que de 2/3 fois par an. Lorsque Moore propose un verre de Coca à une fillette, l'ensemble de la table mime le dégout et nous la voyons goûter timidement le verre, comme s'il s'agissait de son premier contact avec la boisson. Un peu plus loin, lorsqu'il aborde la gratuité de la scolarité, un étudiant slovène indique ne comprendre pas le mot dette (sérieusement !?)...


Moore n'est pas là pour comprendre les rouages qui entourent les systèmes qu'il idolâtre niaisement, il se contente de les picorer bêtement sans laisser suffisamment d'espace à ses interlocuteurs éclairés (car oui il y a en a quand même dans le lot) pour qu'ils puissent exposer intelligiblement le "pourquoi" derrière la mise en place de certaines mesures. Le sociologue portugais Nuno Capaz a par exemple beau tenter de préciser que la dépénalisation de la drogue doit s'accompagner d'un environnement médical adéquat pour se montrer efficace, sa remarque pertinente est noyée dans la masse. Place à l'efficacité et aux raccourcis accommodants pour la démonstration implacable du réalisateur.


Le climax est croustillant. Non, les USA n'ont pas besoin de venir chez nous pour nous "voler" ces merveilleuses trouvailles...pour la simple et bonne raison qu'elles viennent toutes de chez eux (partiellement vrai donc partiellement faux). Et pour soutenir ce message percutant quoi de mieux qu'un passage du Magicien D'Oz avec une Dorothy arrivée en bout de course qui découvre qu'elle détenait le pouvoir de revenir sa chambre du Kansas depuis le début. Propre et carré.


Un fourre-tout hautement maladroit qui frôle le degré zéro du documentaire...

GigaHeartz
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le 15 sept. 2016

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