Carpe diem.
Parfois, on est jamais mieux servit que par soi-même. C'est ce qu'ont du se dire Matt Damon et Ben Affleck, amis d'enfance cantonnés aux seconds rôles qui décident de prendre leur destin en main en...
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le 11 févr. 2013
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Chaudement conseillé par @Lyam_80, Will Hunting est une œuvre dont j'appréhendais plus ou moins l'aura et les ficelles. Pourtant on ne peut pas dire que Gus Van Sant soit un de ces tâcherons étasuniens oubliables, du peu que j'ai vu il a constitué le glaçant Elephant (même si on retrouvera dans ce film le même soucis que Will Hunting mais j'y viendrai), il y a aussi Gerry dont son concept m'attire pas mal.
Bref, un cinéaste étasunien qui essaye tant bien que mal de sortir des sentiers battus. Will Hunting étant un peu son début de carrière et celui qui, si je ne me trompe pas, le propulsera dans le domaine cinématographique, on pardonnera donc le problème du film, à savoir le fait qu'il se range dans la catégorie de métrages des années 90 mettant presque involontairement en exergue le pays en plein doute, dans une introspection, partageant leurs craintes avec une forme de mièvrerie qui dégouline de bons sentiments jusqu'à délaisser le langage cinématographique.
Dans ce genre on place les yeux fermés la plupart des Zemeckis et Darabont, Forrest Gump et La Ligne Verte pour ne citer que les plus connus. Et encore si le problème ne s'en tenait qu'à ça ... car selon moi Will Hunting ne peut s'extirper de son statut "film pour ricain", je m'explique : sans vouloir rentrer dans le cliché que Matt Damon aurait tout le plaisir sadique de déjouer, mais Tarkovski avait relevé quelque chose d'à la fois évident mais pertinent. Si l'auteur a pour objectif de retranscrire un événement (vécu ou non) au cinéma, il aura beau être le plus fidèle possible dans les décors, le physique des personnages identiques aux événements, voire jusqu'à créer un documentaire s'il le faut, il ne réussira jamais a insufflé au spectateur l'émotion véridique dudit événement, c'est-à-dire que selon lui il faut non pas procéder à une "reconstitution mécanique" de l'événement mais "psychique".
Alors de prime à bord ça peut paraitre pompeux et fumeux, mais ça prend tout son sens lorsqu'on prend le temps d'y penser, la réponse était juste là : "prendre le temps". Pourquoi les films de Tsai Ming Liang sont d'une profonde véracité ? Pourquoi dans n'importe quel film d'Abdellatif Kechiche nous avons l'impression d'être dans la peau des personnages ? D'accord pour ce dernier il s'agit d'une forme de naturalisme, mais j'aurais très bien pu en citer un autre, David Lynch ou Andrzej Zulawski soyons fou. Pourquoi dans les films de ces grands cinéastes, nous avons l'impression d'être derrière leur champ de vision et dans leur dimension émotionnelle ?
Parce que ces derniers ont compris l'essence même de l'être humain, parce que certains n'hésitent pas de retourner mille fois une scène à priori insignifiante pour atteindre la vérité absolue émotionnelle. Quand on regarde Stalker nous sommes imprégnés de la dimension spirituelle tarkovskienne, il réussit même dans ce film à créer des décors dans le vide (du moins dans la nature), je citerais par la même occasion Cemetery of Splendour de Weerasethakul. Tous les deux effleurent le champ de l'impossible afin de transcender le spectateur par leur propre et chère poésie.
Mais venons donc au film de Gus Van Sant, qu'est-ce que je lui reproche concrètement ?
À priori le pari qu'a entrepris le cinéaste est assez laborieux, celui de créer un attachement empathique pour une personne surdouée, interprétée ici par le charismatique Matt Damon. Il y a plusieurs manières de le mettre en scène, un gros étron ou un tâcheron se contenterait de présenter un excellent élève avec un taux de réussite prometteur, un avenir tout tracé vers telle voie, il se trouve une boniche, ils ont des enfants et blablabla ils finissent heureux. Ça c'est le niveau zéro absolu. Gus Van Sant lui ne rentre pas dans ce délire de conservateur archaïque, il présente immédiatement le côté humain du personnage, c'est souvent l'erreur que font la plupart des films contemporains : être désincarné. Or dans ce métrage Will est déscolarisé, il nettoie les toilettes d'un lycée dans lequel tous ses camarades s'échinent à répondre aux équations que lui-même résout en 5 secondes chrono, laissant les professeurs à la fois pantois et dans l'incompréhension, car il faudra du temps avant découvrir l'auteur de ces précieux écrits. À priori Will est un homme qui reste dans l'humilité et qui surtout préfère gambader, badiner dans les rues auprès de ses frères / camarades plutôt que d'étaler son capital culturel, car disons les choses clairement, Will n'a rien à prouver à personne, mais si les occasions se présentent à lui et l'importunent, il n'aura aucune gêne à massacrer son interlocuteur, et je pense que la fameuse scène du bar est assez éloquente à ce sujet, mais néanmoins maladroite.
Bref, Van Sant préfère qu'on s'identifie au personnage par des caractéristiques universelles qui nous relient tous, plutôt que d'en faire une machine, une calculette dénuée d'esprit.
Mais est-ce pour autant suffisant ? Van Sant peut-il se contenter d'un tel personnage ? Clairement pas.
Qu'est-ce qui fait que je m'identifie davantage à des personnages asiatiques d'Hou Hsiao-hsien qu'à ceux de Van Sant ?
Dans l'un l'humanité véridique a l'exploit d'évincer toute barrière culturelle, dans l'autre elle nous y cantonne, qui plus est dans des archétypes évidents. Dès lors Van Sant crée involontairement une inadéquation entre l'idéal personnage de ses pensées, et ce qu'il met vraiment en scène.
Pourquoi j'ai cette sensation que Damon peine à retranscrire les vrais sentiments d'un surdoué à l'esprit torturé à peine refoulé ? Pourquoi lorsqu'il se met à résoudre les équations sur le tableau de manière impromptue je n'y ai pas cru une seconde ? Pourquoi la dispute du bar est fausse ? Pourquoi la relation avec sa copine n'exhale peu d'alchimie ?
Une personne sardonique me répondra que c'est parce que je suis un anti-étasunien primaire, or la réalité est que Damon ne sait pas ce qu'est un surdoué torturé et le réalisateur non plus, car ici nous avons une vision fantasmée des événements, et on ne va pas se mentir, ça ne donne pas envie. À contrario les personnages de Wong Kar-wai c'est l'antithèse absolue, pourtant ils sont fantasmés, et paradoxalement on a plus envie d'errer avec ces êtres au destin scellé que déambuler avec Will, pourquoi ? Parce que non seulement il y en a un qui connait mieux la notion de mise en scène et du montage que l'autre, mais surtout parce que l'un ne réduit pas ses personnages à des clichés ambulants. Et ce sont des critères indispensables pour qu'une œuvre cinématographique puisse insuffler au spectateur l'émotion voulue.
Hélas 6 ans plus tard le cinéaste reproduira la même erreur dans son chef d'œuvre Elephant où les personnages se vautrent dans ce qu'il y a de plus étasunien, créant ainsi des stéréotypes, des objets mécaniques, ce qu'on appelle des PNJ dans les jeux vidéo, ces espèces de personnages codés et dont chaque trajectoire est prévisible.
Si le réalisateur omet tous ces points, il ne peut espérer qu'un résultat parcellaire de son idéal.
On ne croit pas à Will parce qu'il ne suffit pas de lui mettre deux trois habits troués pour montrer sa pauvreté extérieur, il ne suffit pas de le balancer au tableau de manière frivole pour montrer ses capacités cognitives, il ne suffit pas de créer un dissentiment artificiel pour montrer la victoire rhétorique de l'autre !
Prenons un exemple de comparaison, celui de La Vie d'Adèle de Kechiche, pourquoi la toute première conversation entre Emma et Adèle basée sur la dominance intellectuelle et culturelle d'Emma fonctionne plus que celle de Will ? pourquoi ressent-on davantage l'impact de l'assénement d'Emma que celui de Will ? Parce que la préparation psychologique pour ressortir la fulgurance des discussions a drastiquement plus été travaillée chez Kechiche que chez Van Sant. Kechiche présente les prémices d'une dominance par l'implantation spatiale de ses personnages,Emma est au deuxième étages, Adèle juste en dessous, Kechiche va insister sur les défaillances corporelles (regard éperdu, respiration âpre, jambes / bras crispés, des tics, des touchés corporelles involontaires pour feindre la soumission intellectuelle), Kechiche va introduire un figurant pour briser les tensions sous-jacentes et laisser Adèle respirer momentanément et reprendre ses esprits. Tandis que Van Sant lui va seulement insister sur le monologue, un monologue me dira-t-on fulgurant, certes, la volubilité des paroles et son assurance viennent démolir l'interlocuteur, mais j'aimerais poser une simple question : qui parle comme ça ? Avez-vous déjà rencontré une personne qui arrive à ressortir autant de termes culturels et sociales de manière aussi parfaitement successive ? Car même les personnes les plus extraverties ou les personnes à haut potentiel n'en seraient capables, qui plus est la plupart resteraient taciturnes, il s'agit donc de briser ce léger cliché, pourquoi pas, mais malheureusement on peine toujours à y croire de par l'incongruité et le mauvais ficelage du dissentiment imminent. Les raisons qui poussent nos deux personnages à se confronter sont à mon sens bâclées, ça ne se passe jamais comme ça, il n'existe pas de personnes qui viennent déjouer le processus de drague d'un autre de manière aussi belliqueuse et pompeuse en sachant pertinemment la contre-productivité de l'acte, non mais sérieusement, le mec pensait sérieusement plaire à l'autre en ressortant gratuitement des cours inopportuns ?
Par conséquent, aussi jouissive que la scène puisse paraitre, on sent une part d'artificialité contrairement à un Kechiche qui va insister sur le courant naturel des événements.
(Je me permets de glisser une petite aparté, car je pense que le processus d'enrichissement intellectuel conçu par Will est erroné ou du moins à nuancer : en effet, Will, en s'attaquant à son interlocuteur si hâtivement, affirme que l'homme devrait réfléchir par soi-même, ce qui à priori est une cause noble, or force est de constater qu'une personne n'ayant aucun prérequis aura que des bribes de réflexion, des miettes et ne pourra jamais s'élever par soi-même. Naturellement, il n'est pas question d'affirmer comme une personne lobotomisée n'importe quelle pensée, mais de s'en servir, de les confronter à d'autres pour s'élever. En bref, faire une osmose intellectuelle. Personne ne devient philosophe en pensant par soi-même).
Je réitère mes dires : il est d'une importance capitale de travailler minutieusement la préparation psychique.
Will Hunting en voulant se concentrer sur les dialogues perd grandement en émotion sur tout le reste : la mise en scène et le montage. Les décors du films sont banales, pas sobres, mais banales et suintant la mièvrerie, ils n'évoquent pas grand-chose, à peine symboliques, dans la continuité logique de ceux présentés dans des œuvres types La Ligne Verte ...
L'utilisation de la caméra est des plus basiques, et le montage insignifiant.
En regardant ce film, nous sommes jamais surpris, la prévisibilité des événements rend les scènes peu marquantes, d'autant plus lorsqu'on se coltine des personnages au mode de vie archétypal étasunien.
Van Sant n'arrive malheureusement pas à hisser son personnage à son idéal.
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le 30 août 2021
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