Grande pépite du documentaire documentant, composée exclusivement de témoignages de soldats américains à leur retour à Détroit, en 1971, au lendemain de leur mobilisation pendant la guerre du Vietnam : je crois que le qualificatif de "film incontournable" ne serait vraiment pas galvaudé ici. Un collectif anonyme de cinéastes baptisé Winterfilm Collective a filmé pendant quelques jours le rassemblement constitué d'une centaine d'anciens GIs, sous l'impulsion de l'association Vietnam Veterans Against the War, et il en résulte ce documentaire, une synthèse de témoignages franchement bouleversante. Dans un noir et blanc très contrasté et charbonneux, avec quelques photographies couleur à l'appui, en l'absence totale de commentaires extérieurs, on écoute avec la plus grande et la plus naturelle attention le récit de ces hommes envoyés à la guerre, parfois contre leur gré, qui ont assisté à l'expression d'une barbarie inimaginable pour la plupart. Des actes de sauvageries commis par l'armée américaine, de manière volontaire, réfléchie, et parfois institutionnelle.
En réalité la chose est tellement inimaginable qu'à l'époque de cette réunion, au début des années 1970, aucun média d'envergure n'avait relayé l'information. La chose était impossible à imaginer, il n'y avait aucun antécédent, pas de scandale (au choix) d'Abou Ghraib dans les mémoires, et les militaires qui avaient témoigné des pires atrocités pas encore officiellement documentées n'avaient pas été pris au sérieux. Pire, ils menaçaient l'effort de guerre. Pourtant il s'agissait de lanceurs d'alerte de leur époque, dont les témoignages se sont avérés aussi abondants que concordants, et le récit des exactions hisse le documentaire sur le podium des épisodes bellicistes terrifiants. À ce titre, d'ailleurs, Winter Soldier est à réserver à un public averti car les références directes et détaillées à des mises à mort, des viols et des actes de torture sont très nombreuses.
Avec le recul on s'en doute, le récit fait par ces ex-soldats ne corrobore évidemment pas vraiment le roman national états-unien. Parmi les cinéastes du collectif, on reconnaît la réalisatrice qui signera quelques années plus tard le célèbre Harlan County, U.S.A., Barbara Kopple, ce qui peut être assimilé à un gage de qualité ici. L'ampleur des révélations est à la hauteur du massacre de My Lai (qui eut lieu quelques années avant en 1968), et entre les lignes des différentes manifestations de la boucherie militaire, on retient la déshumanisation, le lavage de cerveau, et l'intimidation. Ce ne sont pas des termes à prendre à la légère dans le cas présent, car il est tout de même question de fusillades de masse, de viols avec souci d'humilier largement les populations, de prisonniers jetés d'hélicoptère en plein vol après les avoir ligotés avec du fil de fer, de corps mutilés pour l'exemple, tous boyaux apparents... Les faits sont diversifiés, massifs, et attestent d'une cruauté et d'un sadisme certains.
Certains témoignages sont plus ahurissants que d'autres. "There were some Vietnamese children at the gateway of the village and they gave the old finger gesture at us. It was understandable that they picked this up from GIs there. They stopped the trucks — they didn't stop the truck, they slowed down a little bit, and it was just like response, the guys got up, including the lieutenants, and just blew all the kids away. There were about five or six kids blown away, and then the truck just continued down the hill." On parle également de falsification de décomptes de corps, de destruction inconsidérée de villages entiers rasés avec ou sans napalm, avec des motifs ignobles récurrents, du genre "If he's dead, he's Viet Cong" (quand on demandait comment déterminer s'il s'agissait de civils ou de combattants des forces armées communistes) ou encore le glaçant "the more ears, the more beers" (les oreilles découpées étaient ensuite portées comme trophées).
Mais c'est une guerre et des horreurs pour lesquelles il n'y aura pas de jugement auprès de la cour pénale internationale, et dont les responsables ne comparaîtront jamais devant une cour martiale.
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