La saga "X-Men" peut-elle vaincre la malédiction des troisièmes épisodes ? C'est la grande question posée par ce "Dark Phoenix". L'échec de "L'Affrontement final" signé Brett Ratner avait condamné la première phase de la licence à subir un faux reboot et, dans une moindre mesure, celui du dernier en date, "Apocalypse", a presque gommé la réussite des deux films l'ayant précédé et condamné les jeunes mutants mis en scène à l'indifférence générale tant l'arrivée de leur dernier adversaire surpuissant a sacrifié la force de ces personnages sur l'autel des combats spectaculaires... Comme si cela ne suffisait pas, "Dark Phœnix" part avec une tripotée d'handicaps supplémentaires ! Pour commencer, on le sait, il est le dernier représentant des X-Men tel qu'on les connaît, ceux-ci étant tous amenés à rejoindre le giron du MCU dans les années à venir, "Dark Phoenix" est donc un film conçu presque par obligation par la Fox et pour ses acteurs en fin de contrat. Autant dire que ce statut est à double tranchant question qualité : soit toute l'équipe a décidé de se lâcher pour offrir un point final en forme de feu d'artifice à cette période mutante glorieuse (et rattraper "Apocalypse" en passant), soit... ben... tout le monde s'en fiche un peu et va donner le strict minimum (au vu du peu d'attentes que suscite le film, les spectateurs semblent d'emblée avoir envisagé la deuxième solution). De plus, "Dark Phœnix" reprend évidemment l'histoire du passage du côté obscur de Jean Grey déjà au cœur de "L'Affrontement Final". Si cela en rajoute au côté "film maudit" de ce quatrième opus, on peut aussi dire qu'une nouvelle approche ne pourra que surpasser celle de Brett Ratner mais, là encore, quelques doutes subsistent : hormis les figures emblématiques, peu de mutants de la nouvelle génération ont réussi à effacer le souvenir de ceux de la précédente, à commencer par la Jean Grey du rôle-titre, malgré tout le respect que l'on doit à Sophie Turner, l'actrice n'est jamais parvenue à faire oublier la présence ô combien charismatique de Famke Janssen. Ajoutez à cela une production un brin chaotique (toute la dernière partie a été retournée à cause d'une trop grande promiscuité avec celle de "Captain Marvel") ou encore une campagne promo certes consistante mais qui n'a pas emballé grand monde, et vous obtiendrez un épisode conclusif qui a tout pour se vautrer dès la ligne départ. Heureusement, "Dark Phœnix" va tout de même déjouer quelques-unes de ces pires appréhensions pour un résultat global pas si mauvais que prévu...
D'abord, "Dark Phoenix" démarre de la meilleure des manières en misant sur un aspect finalement peu entrevu chez les "X-Men" au travers des différents films jusqu'ici : ce sont bel et bien des super-héros avant tout ! Ben oui, entre les âmes archi-torturées, les guerres intestines et les supra-vilains mutants, c'est un peu bête à dire mais on avait oublié cette donne essentielle de leur identité. Nous les présenter dans un monde où ils sont enfin traités comme tels après les péripéties de "Apocalypse" fait donc un bien fou, apportant un vent de fraîcheur rétro issu de comics au papier que l'on imagine jauni par le temps. Mieux, cela permet enfin de mettre enfin en avant les plus jeunes membres de l'équipe -leurs individualités et leur unité- dans un sauvetage vu par le prisme d'un premier degré très naïf complètement à l'opposé de leurs tergiversations existentielles habituelles. Évidemment, cela ne dure qu'un temps et la problématique Jean Grey va venir rapidement changer la donne mais, bon sang, que cela a fait plaisir de voir les X-Men revêtir leur rôle le plus archaïque !
Sur l'ampleur du bouleversement que va impliquer Jean Grey/Phœnix, le film va rentrer dans le rang des épisodes précédents en tentant de mettre en lumière toutes les conséquences qu'implique son level-up sur son entourage mutant. Comme d'habitude, Charles Xavier est confronté à ses propres fautes, ses petits copains remettent en cause sa parole et des changements de camps s'opèrent avec le retour de Magneto dans l'équation quant à la marche à adopter face à la mutante surpuissante. On navigue dans des eaux archi-connues dont Simon Kinberg se montre incapable de tirer le moindre élément nouveau. "Dark Phœnix" pourrait pourtant être vraiment bon à ce moment mais, pendant une bonne heure, le réalisateur débutant se montre incapable de créer la moindre intensité dramatique ou dynamisme dans les scènes d'action alors que tout s'y prête, punaise ! Lorsque la tragédie frappe l'équipe des X-Men, c'est bien simple, le tout paraît expédié à la vitesse de la lumière sans qu'aucun impact émotionnel ne se fasse véritablement ressentir. Du côté des quelques affrontements, on reste bouche bée sur le manque de percussion et le rythme mollasson sur lequel les mutants se renvoient les coups (on se croirait presque dans un format de série TV, même une baston dans "The Gifted" est plus enthousiasmante!). Pendant que la majorité des vieux de la vieille du casting parait éteinte, quelques-uns parviennent néanmoins à donner le change (merci Michael Fassbender et Nicholas Hoult notamment) pour insuffler un peu d'âme à un ensemble qui en manque désespérément. Même Sophie Turner que l'on redoutait le plus pour soutenir un tel rôle sur ses frêles épaules arrive à retransmettre ce dilemme de fragilité et de force à travers sa Jean Grey mais, encore une fois, la caméra de Kinberg n'arrive que rarement à la mettre en valeur. Enfin, si l'entrée en scène du personnage de Jessica Chastain crée un climat de mystère plutôt bienvenu dans un premier temps, on réalise assez vite que son rôle se limitera à un antagoniste aux motivations pas vraiment des plus passionnantes...
Cependant, un petit miracle se produit : la dernière partie (qui est donc le fruit de reshoots tardifs) va venir bousculer ce tempo de gastéropode neurasthénique et ces situations plus que convenues dans lesquels le film s'enfermait dangereusement en effectuant un virage inopinée vers le grand spectacle ! Dès lors, même avec la meilleur volonté du monde, il est impossible de croire que ce soit encore Simon Kinberg derrière la caméra (ou qu'il n'est pas reçu un énorme coup de main du moins) tant "Dark Phoenix" devient un tout autre film ! Les séquences d'action prennent ainsi une dimension beaucoup plus jouissive, chaque mutant a son propre moment pour y briller et on ressent même enfin toute la puissance qui habite Jean Grey et ses collègues ! Ce n'est sans doute pas assez pour faire oublier le déroulement boiteux de tout ce qui a précédé ou nous faire croire à la fin subite des dissensions de groupe au profit de l'union sacrée (tout est terriblement facile à ce niveau) mais c'est suffisant pour nous gratifier d'un très bon final et rendre justice à tous ces personnages à travers ce qu'ils savent faire de mieux : nous en mettre plein la vue avec leurs pouvoirs ! Et là-dessus, "Dark Phoenix" sauve incontestablement la partie avec son dernier acte. Dommage que l'épilogue vienne ternir le tableau en revenant à un ton plus expéditif pas du tout à la hauteur d'une conclusion d'une telle saga (si ce n'est un amusant un clin d'oeil à ses débuts)...
À l'instar d'un "Apocalypse", "Dark Phoenix" souffre de trop nombreux problèmes pour convaincre totalement mais, entre une première partie puisant dans l'esprit des comics originels et une dernière tenant ses promesses de divertissement, le film fait plutôt bien son job à condition d'oublier les critères qualitatifs instaurés par les meilleurs opus de la franchise. Supérieur à l'affront commis par Brett Ratner, "Dark Phoenix" se traîne hélas le boulet d'un réalisateur sans vision qui l'empêche de prétendre à plus. Avec un metteur en scène expérimenté, cette conclusion aurait pu faire taire les doutes installés en amont, elle en avait clairement le potentiel en tout cas. Ici, le manque d'ambition se fait trop cruellement sentir pendant une bonne partie du film pour n'y voir autre chose qu'un au revoir fait un peu par obligation à nos mutants préférés...