La diffusion du cinéma a beau se dématérialiser au point d’abolir l’espace et le temps, rien n’égale encore ce tunnel de bandes-annonces avant la projection d’un film en salle. Les clichés des blockbusters rivalisent pour nous expliquer que leurs explosions vaudront mieux que les précédentes, les comédies compilent leurs meilleures vannes, les thriller des promesses probablement non tenues. Le film se fait beau, s’exhibe jusqu’à l’obscénité (à ce titre, le trailer de Hobbs & Shaw est un pur chef-d’œuvre) ou joue de l’ellipse pour exciter la convoitise.
La bande-annonce de Yesterday était savoureuse : le pitch est de l’or massif, les quelques vannes bien senties (notamment, ce fameux Hey Dude), et l’on se retrouvait dans cette délicate posture d’un spectateur pourtant averti désirant redonner sa chance à un film de Danny Boyle.
Richard Curtis, à l’écriture, sait s’emparer du sujet : dans ces premiers moments de la découverte de chanceux face à la mine d’or (Yesterday sans les dents, ou la tentative de présentation de Let it Be à sa famille), ou dans ce running gag assez amusant des autres manques issus du Black-Out. L’idée de départ qui veut que le public d’aujourd’hui puisse ne pas apprécier les titres des Beatles avait aussi du charme, mais elle passe vite à la trappe sous le rouleau compresseur d’autres priorités.
Yesterday est un conte, où les sourires sont brillants, la complicité très british avec ces sempiternels sidekicks disgracieux mais si attachants, et c’est, surtout, une romance ultra poussive qui n’épargnera aucun poncif (l’amour était toujours là, mais tu étais aveugle, choisis avant de prendre ton avion, fais ta déclaration en toute intimité devant un stade bondé…).
Certes, la satire de l’industrie du disque occasionne quelques petites piques qui peuvent faire sourire, comme cette réunion marketing sur les pochettes et le titre de l’album à venir, mais là aussi, la manager faustienne ressemble à une méchante de Disney qui fatigue plus qu’autre chose.
La musique, dans tout ça, est à l’aune du film : compilation d’intro ou de morceaux choisis pour le best-of ultime, qui satisfait de manière égale un public planétaire, sans jamais s’emparer du véritable sujet, à peine abordé au détour de micro répliques : des chansons sans histoire peuvent-elles avoir une véritable mélodie ?
Le fait que le scénario soit peut-être le plagiat d’une autre idée ne manque pas de piquant, tout comme les partis-pris de Danny Boyle face à son sujet, qui reproduit comme à l’accoutumée ses afféteries stylistiques plan obliques, titres qui s’intègrent à la narration, murs d’images, likes et cœurs qui envahissent l’écran…) pour, soi-disant regarder une époque, alors qu’il s’agit surtout de faire dans l’épate pour coller à l’air du temps, en témoigne le cacheton générationnel d'Ed Sheeran. Dès la première chanson, où le protagoniste joue Yesterday, la caméra s’égare sur un bord de mer où jouent les enfants, courent les chiens, naviguent les voiliers, dans une esthétique Instagram #sunset qui pourrait nous vendre une assurance vie : le ton est donné. Son regard un peu acide sur une cynique industrie du divertissement est donc légitime, dans la mesure où il en applique précisément les préceptes dans ce film sans âme, où les leçons s’entassent comme des parpaings (pitié, cette rencontre finale avec le gars de 78 ans) et le programme de la romcom nivèle tout.
Le monde sans les Beatles serait effectivement très triste ; mais lorsqu’on se prend à penser qu’on n’avait pas besoin de cette uchronie fade pour nous le prouver, on peut s’organiser un monde sans Danny Boyle et retourner tranquillement écouter ses vinyles des Fab Four.