Œil pour seuil.
La puissance des grandes œuvres se mesurent à plusieurs facteurs, dont un crucial qui tient à son rapport au temps. Au temps présent, qu’elle parvient à représenter ; à la mémoire du spectateur,...
le 10 juin 2021
33 j'aime
10
Ultime métrage réalisé par Edward Yang 7 ans avant sa mort, Yi Yi est une harmonieuse fresque familiale. Définitivement universel, ce concert dévoile la tendresse et l’apaisement d’une famille dans ses déboires. Apothéose du nouveau cinéma taïwanais, Yi Yi en tant que phénomène urbain, capture la vitesse rapace du bouleversement culturel opérant au cœur de l’île. Tout un peuple se retrouve dans le cinéma de Yang, qui emploie les rythmes et sonorités, les couleurs et les textures afin de créer une symphonie urbaine, poétiquement aigüe. Yi Yi est un ruban complexe, mettant en scène une construction narrative rigoureuse. Le chevauchement lyrique des scènes entre elles amènent un écho entre les rires et les pleurs ricochant au cœur de Taipei. L’espace urbain est réfléchi comme un cercle clos sur lui-même, enrobant les personnages. La ville vivante est rendue avec une clarté qui amène à l'éveil de l’espace et du temps, à réfléchir le cinéma comme une toile. La luminosité de Yang s’agite tranquillement et patiemment, insufflant une vérité dans chacun de ses décors. Chaque coin de rue, petit restaurant, bureau ou couloir d’hôtel est habité par des êtres pensants. À la manière de Ozu, les personnages sont capturés dans des poches de temps, simplement seuls à l’intérieur du cadre. L'œuvre est chorale : chaque personnage évolue dans sa propre grille d’espace-temps. Mais la finalité de ce déploiement crée un tissu de communication des personnages, s’engluant dans la toile urbaine. Le monde s’installe dans la pellicule, la mise en scène pudique et bienveillante, pose ses personnages dans une épure discrète du décor. L'œil affûté du metteur en scène permet de teinter l’environnement pour qu’ils retranscrivent l’exacte vérité d’une scène de la vie de tous les jours. Un couple d'adolescents debout sous un viaduc, travaillant lentement vers un premier baiser tandis que le feu de circulation au loin alterne entre rouge et vert. Le film est rythmé par les rituels; le mariage, la naissance et les rites de passage. Yi Yi est le flux de la vie, qui est saisi et dévoilé à nue avec une perspicacité subtile. Les gradations émotionnelles sont soigneusement orchestrées, avec un sens de l’équilibre entre ici et ailleurs, passé et présent. Majesté panoptique, faisant preuve de pudeur et de discrétion dans son propos, Yi Yi amène à une intense amplitude émotionnelle ou se loge le souffle des fragilités humaines.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Films, 2023 : Le cinéma en tant que matière, 100 Films, XXIe siècle et Faisceaux de l'ampleur : la Fresque cinématographique
Créée
le 12 janv. 2023
Critique lue 105 fois
1 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Yi Yi
La puissance des grandes œuvres se mesurent à plusieurs facteurs, dont un crucial qui tient à son rapport au temps. Au temps présent, qu’elle parvient à représenter ; à la mémoire du spectateur,...
le 10 juin 2021
33 j'aime
10
NJ, quarantenaire au regard nostalgique, affronte le démon du midi. Une rencontre fortuite avec son amour de jeunesse sème des doutes insistants sur ce qu'aurait pu être sa vie. Chez lui, sa...
Par
le 14 sept. 2010
30 j'aime
7
La Famille, c'est l'essence-même de notre Société, l'essence-même de notre Vie. Par conséquent, Edward Yang a décidé de faire le portrait d'une famille chinoise, sous la forme d'une fresque réaliste...
Par
le 31 juil. 2014
22 j'aime
1
Du même critique
Dernier film de Miyazaki opérant une radicalisation par rapport à ses films majeurs. À l’inverse du réalisme et des tons intimistes du Le Vent se lève, on retrouvera dans Le Garçon et le héron un...
Par
le 5 nov. 2023
3 j'aime
7e film de Preminger, Laura est comme un nébuleux brouillard planant sur les cimes du film noir. Sensoriel, sensuel, tortueux et fascinant, il s’y déploie entre rêve et réalité. Laura est l’héroïne...
Par
le 30 déc. 2022
3 j'aime
"Once there was only dark. If you ask me, the light's winning."En 2014, dans la longue obscurité de la nuit, naquit True Detective. Anthologie télévisée américaine créée et écrite par le natif de...
Par
le 12 avr. 2023
3 j'aime