A nos corps dépendants
Question : que dire d’un film qu’on a pas entièrement compris ? Option N°1, dite du melon : c’est n’importe quoi, ça ne veut rien dire. Option N°2, dite de l’humble : je suis limité...
le 9 févr. 2017
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Ce week-end je suis allé voir Your Name. Nouveau film d’animation japonais, réalisé par Makato Shinkai. Ce film a déjà pulvérisé des records au Box-Office japonais et flirte avec certains grands succès du studio Ghibli. C’est là le premier travail de Shinkai qui passe en salle, avant les films passaient directement au format DVD en France.
Le visionnage de Your Name s’est déroulé, pour moi, en 4 étapes.
Je me suis d’abord rendu au cinéma avec une étrange sensation au ventre, mélange incongrue d’excitation et d’attentes injustifié dans ce que je concevais comme le successeur au Voyage de Chihiro ou Princesse Mononoke. Je m’assois sur mon siège avec une appréhension et des sensations bien trop réalistes, trop terre à terre, dû à une vision désenchanté d’un monde qui semble s’écrouler petit à petit, se désagréger en même temps que nos rêves, nos espoirs et la magie qui les habitaient. Idées symptomatique d’une vision partagée par une grande partie de cette génération des millénials occidentaux, je ne suis donc pas le seul à être dans ce mood, cet état d’esprit cynique et désabusé ayant perdu foi en ce monde et en la féerie et le fantastique.
Le film démarre et mes appréhensions commencent petit à petit à laisser place à la peur, la peur de voir ce film d’animation prendre la direction d’un teen-manga. Une musique de générique pop rock, un scénario, des personnages et des couleurs aux sonorités adolescentes m’ont fait crisper les poings. Je me dis que je vais me retrouver bloqué devant un animé qui semble devenir tout ce que j’avais redouté.
J’en arrive alors à la 3ème étape de mon visionnage. Le scénario est lancé depuis une bonne quinzaine de minutes, la trame s’installe, les images splendides, aux couleurs oniriques souvent proche des plus belles estampes japonaises commencent à m’atteindre, à me toucher au plus profond de moi-même. La désillusion et mon esprit critique et railleur se volatilisent peu à peu, j’arrête de penser pour moi, de raisonner et me met à penser pour Mitsuha et Taki. Je ressent leurs émotions, je vois à travers leurs yeux, je survole leur aventure, porté par une bande originale saisissante qui me fit frissonner au moment où la tension dramatique, poétique et onirique, est au plus haut point, c’est-à-dire lorsque Taki comprend que Mitsuha est déjà morte depuis 3 ans à cause d’une météorite qui fascina Tokyo par sa beauté mais détruisit une grande partie du village Itomori où vivait la jeune fille. Le spectateur n’a pas besoin d’attendre que Taki trouve le nom de Mitsuha dans le registre des victimes pour savoir que sa moitié n’est plus de ce monde. Et pourtant, j’ai ressenti le même choc que Taki à ce moment, la même stupeur, la même tristesse, comme si une partie de lui-même et donc de moi également, venait de disparaître complètement, laissant vide la moitié de notre être. J’étais alors définitivement perdu au plus profond de leur monde. Et la tension dramatique ne baisse pas, à partir de ce moment, elle ne fait qu’augmenter laissant une impression de bouquet final occupant le tiers du film. Le moment le plus fort où j’ai bien failli lâcher plus d’une larme est le moment où se retrouvent Mitsuha et Taki en haut de la montagne.
Décors à la fois post apocalyptique rappelant le film d’animation Origine, et onirique comme à la fin d’un rêve, le lieu est parfait pour les retrouvailles, bien qu’elles soient brèves.
Lorsque le film se termine j’en arrive à ma 4ème et dernière perception du film. La musique du générique et la lumière de la salle me font descendre lentement du petit nuage sur lequel j’étais perché. Je sors du cinéma et au moment où j’allume ma cigarette, une partie de mon esprit s’éclaire. J’ai retrouvé quelque chose qui me manquait, une féerie, une poésie que je n’avais pas ressentie depuis mon dernier visionnage d’un animé de Miyazaki. Ce film est une véritable ode à l’amour inconditionnel et injustifié, à cet amour qui ne voit pas le couple comme deux êtres qui vivront heureux ensemble mais comme deux moitiés d’une seule âme qui ne pourront ressentir la plénitude et le bonheur qu’en vivant réunis, ne formant qu’un. Au final cette magie entre les deux personnages s’est opéré sur moi pendant la séance, et moi aussi j’avais cette impression de ne faire qu’un avec les personnages, qu’ils étaient une partie de moi-même.
Your Name met aussi en avant deux visions complètement différentes du Japon. Il y a celle de la vie citadine formatée par l’archétype d’une bonne vie, c’est-à-dire faire des études, trouver un travail, avoir un bel appartement et une existence « bien remplie », être un individu unique qui se différencie des autres dans une société de plus en plus individualiste. On le voit notamment quand Taki prend les transports, il est perdu au milieu de cette foule compacte et uniforme, ce dernier ne se démarquant que par son aventure et sa relation avec Mitsuha. La seconde vision est celle d’un Japon traditionnel, centré sur la famille et la vie en petite communauté, où tout le monde se connaît ou presque et où les rituels, les habitudes et l’équilibre ont une place importante. Pourtant Shinkai nous la présente également comme un mode de vie qui peut sembler vite ennuyeux et limité aux frontières du village et la mainmise des dirigeants sur les citoyens lambda. C’est comme si le réalisateur voulait nous dire que comme les personnages ne peuvent vivre l’un sans l’autre, ces modes de vies vont de paires. On ne peut rester cantonné à son village, sans jamais aller découvrir le monde et particulièrement la ville et inversement on ne peut rester enfermé entre les tours bétonnées des villes sans aller s’échapper à la campagne parfois. On ne peut être trop individualiste mais il faut aussi que l’individu est sa propre place, vive pour lui et pas seulement pour sa famille. Pour Shinkai dans la vie comme dans l’amour tout est question d’équilibre comme si Taki et Mitsuha étaient le Ying et le Yang, le feu et l’eau, le ciel et la terre.
J’ai beaucoup appris de ce film et peut être que mon enthousiasme paraitra disproportionné à certains et ma perception de cette œuvre est peut-être erronée, mais comme l’ont déjà dit bon nombre de journaux et de cinéphiles, je crois que nous tenons là un digne successeur au maître Miyazaki. Un élève qui arrivera peut-être à égaler le maître voir, qui sait, à le dépasser.
Créée
le 14 janv. 2017
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