Aaaah, les délices d’une œuvre culte dont on ne connait que quelques images fugaces, et non des moindres : Sean Connery dans un accoutrement qui ressemble à un SMS envoyé par erreur un soir de biture, une statue volante en carton-pâte, et des masques antico-toc.


Le débat est fécond, les rivaux marqués : œuvre visionnaire ou navet rutilant ?


La vraie question n’est peut-être pas là. Zardoz est un OFNI comme on les aime, improbable et délirant, mal foutu et ayant subi avec une violence manifeste les affres du temps. S’il suscite aujourd’hui un culte, c’est probablement moins pour sa supposée profondeur que pour les audaces de son originalité, qui, soyons honnête, ne contribuent pas réellement à la grandeur du film.


Sur le plan formel, donc, toute l’entreprise semble une vaste blague : en 1974, le plastique, c’est fantastique, et l’an de grâce 2293 sera donc synthétique, à grands renforts de bâches sur un château et d’emballage cellophane sur tout ce qui pousse, de cristaux psychédéliques, de baguettes vertes (parce que pourquoi pas, on n’avait pas vu ça ni dans la passé, ni dans le présent) et de toges bigarrées qui feraient passer le public de Woodstock pour des amish dépressifs, et d’un Tabernacle qui donne toute son ampleur à la dimension québécoise du terme.
La communauté utopique, entre salle à manger et jardin, s’aseptise gentiment et étudie avec des sursauts de désir oublié le tronc de sève qu’est Zed, l’homme primal entré par effraction dans l’Eden puritain.


Car oui, la défense n’oubliera pas de nous le rappeler, Zardoz a du fond : apologue socio-politico-ésotérico-théologico-marxiste, il aborde les questions cruciales de l’immortalité, de l’impérialisme, de la lutte des classes et de l’inéluctable déclin des castes dominantes s’étant prise un peu trop pour Dieu. Le tout avec forces déclarations, revirements ironiques, transgressions narratives et décrochages qui mettent le spectateur dans une posture délicate. Qu’on juge plutôt de la déclaration en préambule d’un personnage sous forme de tête volante : I am the puppet master. I manipulate many of the characters and events you will see. But I am invented, too, for your entertainment - and amusement. And you, poor creatures, who conjured you out of the clay? Is God in show business too?


Les presque twists de l’intrigue, visant systématiquement à dévoiler les coulisses d’un dénouement qui serait une tabula rasa obéissant in fine à un programme, sont à l’image du film tout entier : trop alambiqué, cachant trop ses extravagances derrière des pirouettes pseudo-lucides pour être pleinement honnête. Si on était vraiment méchant, on pourrait émettre l’hypothèse que Boorman avait simplement envie de filmer des décolletés et des seins, et jubilait parce que Sean avait perdu un pari avec lui, mettant en jeu toute la garde-robe de son prochain film.


Mais ce serait excessif : sachons l’être moins que ce film, dont la présence dans l’histoire du cinéma est, sinon nécessaire, au moins fortement amusante. Le culte a du bon, et son propre système de valeurs : c’est aussi avec ces incongruités réjouissantes que se construit la cinéphilie.

Sergent_Pepper
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le 9 juil. 2018

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Sergent_Pepper

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