Mon point de vue sur les attentats du 11 septembre 2001 est très contestable, mais cela reste pour moi l’événement le plus riche et le plus passionnant de cette fin de XXème siècle. Les questions philosophiques, morales, économiques et géographiques qu’il pose sont tellement innombrables qu’il restera un sujet de réflexion et de débat pour les décennies à venir. Cinématographiquement, après m’être infligé la curée que constitue le World Trade Center d’Oliver Stone, je considérai d’ores et déjà le film de Kathryn Bigelow comme forcément moins mauvais. J’ai fuit ce film un moment, par peur d’un trop plein de patriotisme (nationalisme ?) et d’une violence sous forme de référence morale…
Une fois n’est pas coutume, j’ai fait erreur…Le film de Bigelow, s’il n’est pas un film pacifiste, prend la posture du film-témoin, tentant avant tout de relater les faits avec une volonté de réalisme. Même si la violence est bien présente, elle se contente semble-t-il de prendre les faits à bras le corps pour nous les transmettre de la manière la plus brute (brutale ?) qui soit. Certains amis critiqueurs semblent reprocher à la réalisatrice un manque de parti pris idéologique ou historique. Mais de la même manière que les lois mémorielles sont une erreur, un film de ce type qui aurait choisi son camp aurait fini sur le bûcher, quel que soit le camp choisi. Le seul parti-pris dont elle semble s’être emparée est d’avoir tenté d’humaniser aussi bien les tortionnaires de la C.I.A. que les terroristes talibans potentiels.
L’assaut final sur la villa filmé en temps réel atteste que nous sommes bien face à un film d’action d’une efficacité redoutable, une des autres scènes n’oubliant pas de mettre en avant la légèreté avec la sécurité, qui s’empare parfois des agents de la C.I.A. Pour autant, les scènes de torture dans les prisons secrètes, si elles ne sont pas gratuites, n’en sont que plus violentes. Les reportages télévisés de l’époque ne préparent pas à voir un homme, quel qu’il soit, être promené en laisse comme un chien par un agent de la plus grande démocratie. Sans en avoir l’air Kathryn Bigelow pose alors les bonnes questions : celle de la fin et des moyens, celle de l’humanité des terroristes et de leurs geôliers, celle des rapports des U.S.A. avec le reste du monde et de l’imposition de leurs valeurs.
Excellent dans ce qu’il montre la réalité telle qu’elle a pu être, Zero Dark Thirty filme finalement une réalité qui dépasse la fiction, comme a pu le montrer auparavant l’effondrement des tours du World Trade Center. Cet attentat restera comme un marqueur historique, car au-delà de toute l’horreur que cela a suscité, force est d’admettre l’aspect spectaculaire et ciné génique de ce drame absolu. Zero Dark Thirty vient prendre place aux côtés de films tels que La Chute Du Faucon Noir, des films montrant que l’Histoire est capable d’écrire les meilleurs scénarios pour peu qu’un cinéaste sache les traduire sur pellicule. Kathryn Bigelow prouve qu’une femme réalisatrice peut être là où les machos de tous poils ne l’attendent pas. Ne se contentant pas de provoquer débat et polémique, éprouvant et édifiant, tel est son film.