Ne peut-on vivre en paix qu’avec des ombres ?…

On ne compte plus les documentaires réalisés par Simone Bitton, que ceux-ci soient destinés à la télévision et, entre 1981 et 2003, interrogent des figures telles que Oum Kalsoum, Mohamed Abdelwahab, Serge Daney, Elias Sanbar, Mahmoud Darwich et Mehdi Ben Barka, ou prennent la forme de longs-métrages de cinéma (« Mur » en 2004, « Rachel » en 2009). « Ziyara » la reconduit sur les terres de son enfance, au Maroc, dont la langue lui est restée, et, en un long « pèlerinage », la lance sur les traces de ses ancêtres juifs et des grands Saints sémites, autant de morts, illustres ou obscurs, désormais placés sous la garde bienveillante et attentive de femmes et d’hommes musulmans, qui ont chacun une approche de leur rôle, à la fois très personnelle et très empreinte de religiosité.


Flanquée d’une équipe légère (Jacques Bouquin à l’image, assisté de Soukaina Belghiti, Ghita Zouiten au son), Simone Bitton nous embarque sur les routes marocaines, d’un sanctuaire à l’autre. À la manière d’un road movie, le montage de Dominique Pâris nous conduit devant ces tombeaux qui ne s’exposent généralement pas à l’air libre mais sont précieusement enclos dans des maisons destinées à l’accueil des pèlerins. Les entretiens avec les gardiens, de tous âges, de tous sexes, souvent fièrement héritiers de leur charge, dévoilent leur grand dévouement, leur implication dans cette fonction qu’ils remplissent avec conviction. Financés par des fonds juifs et par les dons des pèlerins, ils expliquent le culte rendu tout aussi bien par des Mulsulmans à ces reliques sacrées. Bel exemple d’œcuménisme, sans que ce nom ait besoin d’être pompeusement brandi… Croit-on d’abord…


Mais le film prend une orientation autre dans son dernier quart, lorsque la parole est donnée, non plus aux gardiens, issus du peuple, mais à des intellectuels, des spécialistes de la présence juive au Maroc, historiens, anciens journalistes… Prennent alors sens cette aptitude à fuir brusquement dans la nuit, « en emportant tout, femme et enfants », ces récits de migration définitive à l’étranger, ce soudain évanouissement d’une culture et de sa représentation humaine dans un pays, au lendemain de la Guerre des Six Jours… Qu’est-ce qui est tu de ce lendemain ? Quelles persécutions, intimidations, pour provoquer un exode aussi massif ? La belle entente que l’on avait d’abord vue s’illustrer, cet exemple magnifique de rapport à l’autre bienveillant et respectueux se colore soudain différemment. Qu’en est-il de l’altérité si l’autre a été poussé à l’auto-effacement ? Faut-il attendre que l’une des communautés ait totalement disparu, que même ses morts s’en aillent, exhumés et emmenés par leurs descendants, pour que le groupe restant puisse enfin atteindre cet état d’apaisement et manifester cette pacifique tolérance ?


« Ziyara » est une œuvre importante, qui, sans polémique ni agressivité, et à partir d’un constat en apparence rassurant, conduit son spectateur à se poser des questions plus qu’inquiétantes…

AnneSchneider
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le 1 déc. 2021

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Anne Schneider

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