Baron Samedi

Écoutez monde blanc
Les salves de nos morts
Écoutez ma voix de zombi
En l’honneur de nos morts

René Depestre

Trois ans après le flop de Nocturama, le cinéaste Bertrand Bonello (Quelque chose d'organique, Saint Laurent) imagine un récit envoutant sur l'identité et l'héritage autour du culte Vaudou. Un Teen zombi entre satanisme & sorcellerie s'inspirant de la vie de Clairvius Narcisse, une victime de zombification suite a l'absorption d'une drogue, la poudre de zombi, avant de revenir parmi les vivants, dix-huit ans après sa disparition !
Une mixture issue de divers produits d'animaux tels que des organes du poisson-globe (fugu/fufu) ou le Crapaud buffle. La toxicité de cette préparation est due à un puissant paralysant qui plonge le corps dans un état de paralysie : la tétrodotoxine ! Clairvius aurait fait partie de prétendus morts-vivants, des humains condamnés à la servitude qui ont été drogués pendant toute la durée de leur esclavage pour travailler notamment dans des plantations.
Dans le vaudou haïtien, le zonbi (esprit/revenant) est une personne victime d'un sorcier vaudou bokor, plongée dans un état cataleptique et privée de son âme par administration de drogue, la victime passe pour morte. En moins de 24 heures, le sorcier revient déterrer le cadavre à ressusciter tout en récitant diverses incantations. On lui administre ensuite une mixture à base d'atropine ou de datura, des antidotes qui éliminent les effets du poison et le fait sortir de sa léthargie. Puis on lui donne une autre drogue hypnotique qui rend la victime amnésique et prête pour l'esclavage du travail manuel, un état facilité par les lésions cérébrales hypoxiques. La tétrodotoxine ayant détruit leurs fibres nerveuses sensitives, certains zombis sont insensibles aux blessures et ont des muqueuses nécrosées, ce qui leur donne une voix caverneuse.
Un Haïtien est ramené d'entre les morts pour travailler dans l'enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, une adolescente haïtienne révèle à ses amis le secret de sa famille...
Au casting de débutants Wislanda Louimat, Louise Labeque, Sayyid El Alami, Mathilde Riu, Mackenson Bijou, Ninon François, Adilé David, Katiana Milfort, Saadia Bentaïeb, Néhémy Pierre-Dahomey, Patrick Boucheron et Ginite Popote.

Travail !

Haïti en 1962, par la confection d’une mystérieuse poudre à base d’estomac de poisson qui, glissée subrepticement dans une paire de chaussures, va foudroyer son propriétaire quelques heures plus tard. Pleuré par sa veuve de toutes les larmes de son corps, Clairvius Narcisse est enterré dans un cimetière de Port-au-Prince. Dans la nuit, d’étranges personnages viennent le déterrer pour l’emmener, avec d’autres morts-vivants pour travailler comme esclave dans des plantations de canne à sucre. Yeux révulsés, corps suppliciés, flottant entre deux mondes, ils se soumettent sans protester. Cinquante-cinq ans plus tard, changement de décor. À Saint-Denis, dans le prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur, sa petite-fille Mélissa intègre un groupe de jeunes filles. Au cours d’une réunion nocturne, dans les locaux endormis de l’établissement, Mélissa doit en guise de rituel d’intégration raconter une histoire qu’elle n’a jamais dite à personne.
Elle leur confie alors le destin de son ancêtre, transformé en zombi par un rituel vaudou, et revenu ensuite à la vie pour donner une descendance à sa femme. Le mystère, la magie, les incantations de Mélissa enflamment l’imagination de Fanny qui a du mal à se remettre d’une rupture amoureuse.

Change de cheval Baron !

Entre Haïti et la France, dans le passé et l'avenir, dans deux arcs narratifs en alternances et à époques différentes, le cinéaste Bonello nous concocte sous sa musique un Teen zombi mélancolique dans L'Emprise des ténèbres du folklore & des rites ancestraux Haïtien, avec bien sûr l'historique colonial de l'esclavage. Parsèment le tout par les rituels d'une jeunesse parisienne d'un quatuor (chelou & cool) de jeunes filles dont Mélissa, la petite-fille de Clairvius dans le luxueux pensionnat de la Légion d’honneur à Saint-Denis, entourées de bougies lors des promenades clandestines nocturnes, assoiffées d’histoires horrifiques au son du rappeur Damso avec leurs états d’âme des mauvaises notes aux rêveries amoureuses finissantes en chagrin d’amour ! Ça commence par la préparation d’une concoction magique qui constitue le point de départ du récit qui redonne au moins ses lettres de noblesse à l'Esprit en perdant le "e" de zombie, loin du folklore pop américain popularisé par la saga de George A. Romero. Un retour aux sources en somme pas totalement maîtrisé malgré une mise en scène soignée, c'est pas assez mordant, seul le récit en Haïti est bien plus intéressant, mais l'intention est là. Le réal se rattrape en finissant le dernier acte avec une Fanny désinvolte forçant la main de tata Manbo pour une sorcellerie rémunérée, une prêtresse avide sermonnée par la puissance du fameux Baron Samedi pour le non-respect du rite !

Après être revenu au monde, Clairvius Narcisse peut à nouveau mener une existence paisible.

Il meurt une seconde fois en 1994 à l'âge de 72 ans après avoir profité de sa deuxième vie.

À la fin des années 1990, on estimait à 1000 le nombre de nouveaux cas de zombification chaque année.

Nul ne sait combien de zombis marchent encore aujourd'hui dans les terres d'Haïti.

Cap’tain Zombi

Je suis Cap’tain Zombi
Je bois par les oreilles
J’entends avec les dix doigts
J’ai une langue qui voit tout
Un odorat-radar qui capte
Les ondes du cœur humain
Et un toucher qui perçoit
À distance les odeurs
Quant à mon sixième sens
C’est un détecteur de morts
Je sais où sont enterrés
Nos millions de cadavres
Je suis comptable de leurs os
Je suis comptable de leur sang
Je suis peuplé de cadavres
Peuplé de râles d’agonies
Je suis une marée de plaies
De cris de pus de caillots
Je broute les pâturages
De millions de morts miens
Je suis berger d’épouvante
Je garde un troupeau d’os noirs
Ce sont mes moutons mes bœufs
Mes porcs mes chèvres mes tigres
Mes flèches et mes lances
Mes laves et mes cyclones
Toute une artillerie noire
À perte de vue qui hurle
Au cimetière de mon âme !

Écoutez monde blanc
Les salves de nos morts
Écoutez ma voix de zombi
En l’honneur de nos morts
Écoutez monde blanc
Mon typhon de bêtes fauves
Mon sang déchirant ma tristesse
Sur tous les chemins du monde
Écoutez monde blanc !

Le sang nègre ouvre ses vannes
La cale des négriers
Déverse dans la mer
L’écume de nos misères
Les plantations de coton
De café de canne à sucre
Les rails du Congo-Océan
Les abattoirs de Chicago
Les champs de maïs d’indigo
Les centrales sucrières
Les soutes de vos navires
Les compagnies minières
Les chantiers de vos empires
Les usines les mines l’enfer
De nos muscles sur la terre
C’est l’ écume de la sueur noire
Qui descend ce soir à la mer !

Écoutez monde blanc
Mon rugissement de zombi
Écoutez mon silence de mer
O chant désolé de nos morts
Tu es mon destin mon Afrique
Mon sang versé mon cœur épique
Le pouls marin de ma parole
Mon bois-d’ébène mon corossol
Le cri des arbres morts en moi
L’écho de leur sève dans ma voix
Ma race tel un long sanglot
Qui cherche ma gorge et mes eaux
Qui cherche en moi le bras de mer
Où l’Afrique arrache son cœur
Écoutez monde amer monde blanc
Mon chant d’agonie ma vie ce chant
Qui marie en mon corps le vent
Et la vague, le ciel et l’enfer !

René Depestre