J'me rappelle. Quand j'étais gosse dans ma petite ville, il existait encore des vidéos-clubs.
Pas de ces vidéos-clubs souffreteux qui sentaient dèjà, avec l'arrivée du DVD et l'explosion d'internet, le souffle froid de la mort numérique sur leur nuque analogique.
Non ! De vrais vidéos-clubs gavés jusqu'à la gueule de VHS usées jusqu'à la corde, alignées sur de grandes étagères en bois et le plus souvent classées par genres cinématographique.
C'était un voyage pour les mômes que nous étions de se promener dans ces allées sur-éclairées, sautant de genres en genres, de jaquettes en jaquettes. Promenant nos yeux innocents sur ces mini-affiches de cinéma toutes plus alléchantes les unes que les autres.
Nous passions de la sobriété et du classicisme absolu de l'affiche du premier Parrain au jaquettes aguicheuses et franchement trop colorées du grand Max Pécas dont le célèbre "On se calme et on boit frais à St-Tropez" venait de sortir.
Nous nous perdions dans ces centaines d' univers fascinants.
Nous chevauchions, poussiéreux, mâchonnant un bout de cigarillo aux côtés d'Eastwood, à la recherche de quelques motherfuckers à la récompense bien juteuse.
On rigolait aux vannes de cul de Bébel assis prés de lui dans sa caisse, l'accompagnant sur la scène de crime, cherchant les précieux indices qui pourraient nous mener à cette saloperie de Minos et son oeil de verre.
Nous courrions avec Indy tentant d'échapper aux milles pièges de ce maudit temple Inca; et cet énorme rocher qui nous filait le train dans ces couloirs étriqués, défonçant tout sur son passage, que nous évitions de justesse par la grâce d'une porte dérobée sauvant de justesse nos miches et le chapeau du professeur Jones par la même occasion.
C'était l'imaginaire en action. Un monde d'aventures. A cheval, en avion, en bateau et même en vaisseau spatial. Le vidéo-club c'était presque aussi chouette que le cinoche.
Mais l'aventure n'était pas complète. Deux allées résistaient encore à nos investigations enfantines.
La première était un cul de sac, une impasse.
Un rideau épais fermait l'entrée principale et juste au-dessus clignotait un" X " rouge; un panneau "Interdit au moins de 18 ans" venait rajouter du mystère à cette caverne d'Ali Baba.
C'est avec appréhension et pendant que le vendeur vérifiait sa caisse que nous passâmes de l'autre côté du rideau. En effet c'était bien la caverne d'Ali Baba mais les trésors qu'elle offrait n'étaient pas de la même eau. Nos yeux d'enfants restèrent fascinés.
En lieu et place de coffrets remplis de pierres précieuses: Des soutiens-gorges de dentelles blanches garnis de poitrines opulentes débordant de leurs écrins brodés. Des femmes nus partout sur les étagères comme ces diamants bruts incrustés dans la roche de la grotte des quarante voleurs. Des femmes de toutes les couleurs, de toutes les formes, dans des positions inédites. C'était la découverte du siècle, putain !
C'est tremblant et les jambes en coton que nous sommes parvenus à nous extirper de cette salle au trésor mirifique.
Le temps de reprendre nos esprits et de défroisser nos futals, nous nous mîmes en quête de la seconde allée interdite.
"HORREUR / ÉPOUVANTE" était inscrit en lettres dégoulinantes à l'entrée du rayon maudit. Nous entrions sur la pointe des pieds et la peur au ventre.
Des monstres dégoûtants, des bestioles grouillantes nous observaient de leurs étagères poussiéreuses tandis que les glorieux ancêtres engoncés dans leurs jaquettes en noir et blanc, ces Dracula, ces momies vieillissantes, ces Frankenstein rouillés se foutaient de notre gueule avec leurs grimaces d'un autre âge.
Mais la curiosité était plus forte que la peur. Nous jetâmes notre dévolu sur un film de morts-vivants dont la jaquette représentant un homme bouche ouverte avec une machette plantée dans la tête ne laissait planer que peu de doutes sur le contenu du métrage.
Nous payâmes et le vendeur laissa partir sans se retourner une petite bande de gamins de dix ans avec un film interdit au moins de 18 ans (puis 16 ans) sous le bras.
Magie de l'insouciance de ces eighties libérées !
Une fois dans le salon du seul pote un peu friqué de notre petite bande, le seul à posséder un magnétoscope, c'est les mains tremblantes que nous avons inséré cette cassette vidéo à la forte odeur de soufre.
Un générique posé sur une moquette épaisse d'un rouge "viande haché" laissait présagé le meilleur pour la suite.
Un immeuble assiégé par des mecs de couleur verte, des flics à la gâchette facile... Yeah, c'est putain d'cool ! ! !
Un sous-sol crasseux et là... Des mecs en train de bouffer des morceaux d' autres mecs.
Qui se goinfrera un bras, qui un panard ?
Du sang et des boyaux partout, des viscères dégueulasses étalées sur le sol.... Une boucherie !
Putain c'est gerbant ce truc....Mais c'est génial !
Et tandis que nos yeux ensorcelés par ce mélange de fascination morbide et de profond dégoût fixaient l'écran dans une immobilité effrayante, l'image se mit à vibrer, vibrer encore, de plus en plus vite, puis s'arrêta net.
Nous nous jetâmes sur le magnéto à la vitesse de l'éclair, nous sortîmes délicatement la cassette avec la minutie du chirurgien plastique des frères Bogdanov, mais la bande s'était prise dans le lecteur.
Cette putain de bande magnétique entortillée dans les têtes de lecture de cette machine du diable.
Tout ça pour ça !
Fini les Morts-vivants ! Dans le cul les Zombies ! PUTAIN !
Et en plus on va s'faire niquer la caution, bordel !!
VHS de merde !!!