Humanity expansion pack
Dans la néo San francisco d'un futur proche, l'Amérique toujours fidèle à elle même, n'a pas trop changée. Les services publics tombés depuis des décennies au mains de corporations privée ...
le 9 oct. 2015
3 j'aime
Il était une fois Snatcher : excellent jeu d'aventure cyberpunk, sorti au Japon en 1988 et dans le reste du monde en 1994, signé Hideo Kojima, il a démontré qu'on peut publier un jeu presque purement textuel sur console et produire malgré tout une oeuvre d'art.
Mais on n'est plus en 1988. On est en 2015 et le titre dont nous allons parler s'appelle Read Only Memories.
Pourquoi cette digression ? Eh bien, il s'avère que ROM tire pas mal inspiration de l'opus Konami ; non seulement pour l'interface textuelle et le cadre, mais aussi pour certains éléments fondamentaux du scénario. Dans les deux cas le héros est tout le temps accompagné par une IA qui commente ses actions et l'aide à avancer dans son enquête, et il s'agira toujours d'essayer d'arrêter des plans de domination incluant des technologies très avancées.
Mais il y a aussi des différences notables. L'IA qui te suit dans le jeu de 2015 est très, très bavarde ; c'est elle qui t'embarque dans cette histoire contre ton gré et c'est toujours elle qui va interrompre ta partie avec des réflexions pseudo-philosophiques barbantes et des confessions de ses sentiments à l'égard de son créateur. De fait, on peut résumer ROM en disant qu'il s'agit d'une très longue séquence de dialogues avec des personnages bigarrés mais sans intérêt, ponctuée ici et là de quelques actions de type point 'n click. Le mystère et le suspens qui peuvent commencer à poindre lors de la disparition de ton ami Hayden sont ainsi dilués dans des conversations pour connaître le passé de tel ou tel individu et dans des quêtes inutiles pour retrouver des données informatiques perdues. Il n'y a quasiment aucun sentiment de tension qui dégage du jeu (sauf dans la partie finale qui comme par hasard est copiée-collée de Snatcher) et rien non plus qui te donne envie de progresser dans la partie sauf si t'adores écouter les histoires de vie d'un barman, d'un hacker ou d'une fille aux oreilles de chat.
Certes, la façon de se comporter avec tel ou tel personnage va décider s'il ou elle voudra ou non t'aider dans ta quête, mais tout ça ne t'empêchera pas d'obtenir l'une des quatre fins possibles (cinq avec l'échec) puisqu'elles sont déterminées par deux facteurs seulement.
L'intrigue est aussi parmi les plus improbables du genre. Qu'est-ce qui fait en effet l'intérêt du cyberpunk ? Sans doute son interrogation constante sur les limites de la science et de la technologie, ces mastodontes de notre société moderne si célébrés et si peu questionnés. Son succès n'avait rien d'étonnant à une époque où l'on craignait une guerre atomique mondiale qui aurait pu effacer l'ensemble de la vie sur Terre, mais il a encore toute son importance à l'heure actuelle où l'invasion technologique quotidienne fait que nous avons cessé de questionner sur nos pratiques et sur les conséquences de nos actes.
ROM prend en revanche le parti inverse. L'oeuvre met en scène une opposition entre d'un côté les « hybrides », partisans des nouvelles technologies qui vont se faire opérer génétiquement pour obtenir des apparences de chat ou de lapin et de l'autre un groupe de réacs appelé la Révolution Humaine qui s'oppose à un tel « progrès » technologique et revendique la pureté de l'être humain, et les gentils sont ici évidemment les premiers. Le gros méchant est bien sûr un méga-ordinateur qui envisage de contrôler et manipuler toute l'information disponible sur le net, mais ce que nos héros essaient de mettre à sa place c'est la libération de toutes les IA pour en faire des individus entièrement autonomes. Autrement dit, le jeu demeure de part en part une célébration assumée et quasiment acritique du progrès technologique qui semble être le véritable vecteur d'émancipation collective. Au final on éprouve un vrai malaise à devoir choisir entre le luddisme réactionnaire de la Révolution Humaine et le futurisme techno-enthousiaste de l'alliance IA-furries...
Un autre aspect mérite considération puisqu'il a été le plus exalté par les critiques. Les développeurs ont voulu le jeu très représentatif de la diversité de la communauté LGBT. On y retrouve ainsi deux couples gays, une détective lesbienne, une magnate de l'audiovisuel à la barbe épaisse, une IA qui s'interroge sur son genre, plus évidemment tous les hybrides qui essaient de faire entendre la proximité de leur expérience avec celle des transgenre. Au début du jeu on te donne la possibilité de choisir les pronoms personnels pour s'adresser à toi et même ton régime alimentaire (vegan, végé, kosher...).
L'entreprise en elle-même réclame deux remarques. D'abord, si un tel choix de développement peut sembler louable, sa réalisation donne de bien moindres espoirs. La caractérisation des personnages n'a aucun rapport aucun l'intrigue et semble vraiment y avoir été mise de force pour respecter l'ensemble de la communauté LGBTQIA+, mais pire encore, les personnages sont tellement caricaturaux dans l'ensemble que cela finit par desservir la cause (qui n'avait pas vu venir la relation homosexuelle dès la première rencontre avec le barman musclé au prénom moyen-oriental ?). On aurait même droit de se sentir blessé par la comparaison du vécu des trans à celui d'individus qui se font opérer pour avoir des cornes ou une queue de lapin.
Enfin, on se demande si les développeurs se rendent vraiment compte des implications concrètes de leur opération. Créer un futur dystopique (parce que c'est ça, au fond, le cyberpunk) où tout le monde se fait modifier le corps ou semble présenter une sexualité « déviante », ça peut être aussi bien l'oeuvre d'un rêveur progressiste que d'un ultra-réac qui voudrait nous détourner d'une telle menace possible. L'absence de critique interne à la situation, déléguée à un groupe de détestables conservateurs vieillissants, ne fait que conforter le joueur/spectateur sans parti pris dans l'idée qu'il s'agit d'un cauchemar dont on devrait éviter à tout prix la réalisation.
A mi-chemin entre un visual novel et un point 'n click, Read Only Memories échoue à livrer et les échances intéressants du premier genre et les casse-têtes du second. Les choix scénaristiques confus, le rythme lent de l'intrigue, l'impossibilité à passer rapidement les interminables dialogues et les nombreux bugs toujours présents à l'heure où je rédige cette critique viennent compléter le cadre d'une expérience qui aurait pu être sympa mais qui se révèle finalement être très pénible.
Jouez plutôt à Snatcher si vous voulez une aventure textuelle cyberpunk, à Technobabylon pour un excellent point 'n click rétro du même style ou à Undertale si vous souhaitez que vos choix aient des conséquences réelles sur le déroulement de la partie.
Créée
le 30 janv. 2016
Critique lue 678 fois
3 j'aime
D'autres avis sur 2064: Read Only Memories
Dans la néo San francisco d'un futur proche, l'Amérique toujours fidèle à elle même, n'a pas trop changée. Les services publics tombés depuis des décennies au mains de corporations privée ...
le 9 oct. 2015
3 j'aime
ROM : un jeu charmant aux personnages attachants et fortement axé sur les dialogues au point qu'on le confondrait presque avec un opus de Ace Attorney. Il va même plus loin et améliore la formule en...
Par
le 8 juin 2016
2 j'aime
Ce n'est pas un mauvais jeu, loin de là, mais il y a tromperie sur la marchandise. Si vous cherchez un Point & Click, passez votre chemin, j'ai découvert à la dure qu'il appartenait en fait à la...
Par
le 13 avr. 2018
1 j'aime
Du même critique
J'ai envie de parler du grunge minimaliste, sec et violent d'Undertow ; j'ai envie de gloser autour des courtes bizarreries qui ponctuent l'intense AEnima ; j'ai envie de débattre des délires de...
Par
le 30 août 2019
27 j'aime
9
Vous voulez connaître le nom du premier ouvrage de philosophie politique qui applique systématiquement le point Godwin ? Cherchez pas plus loin, La route de la servitude est bien ce...
Par
le 14 août 2013
22 j'aime
3
"Le silence dépasse tout ; j'aimerais mieux entendre une note que d'en entendre deux, et j'aimerais mieux entendre le silence que d'entendre une note". (Mark Hollis) J'ai essayé d'écrire au sujet de...
Par
le 28 févr. 2019
10 j'aime