Des critiques particulièrement bien construites évoquent avec brio les premières caractéristiques qui viennent à l'esprit lorsqu'il s'agit d'aborder le pourquoi du comment de l'amour que les gens portent au Sanglot des Cigales.
Je vous invite à aller voir ces dernières si vous souhaitez obtenir une introduction à l'œuvre et une description de ses qualités primaires.
Pour ma part, et afin d'éviter de tomber dans la redite, je vais détailler plus amplement certains points en essayant d'aller plus loin de ce que j'ai eu l'habitude de lire sur la saga. Malgré mon affection pour tout un tas de livres et de jeux vidéo, LSC apparaît systématiquement comme supérieure et je ne peux m'empêcher d'utiliser l'œuvre comme mètre étalon. Je ne devrais pas comparer ce qui n'est pas comparable, mais je ne peux pas m'en empêcher. Il y a quelque chose dans cette œuvre qui distingue de tout.


Je vais alorstenter de l'expliquer sur plusieurs points (et sans spoilers) :


D'abord, 1 - la longueur. C'est généralement le premier point qui est abordé. On va pas se le cacher : le Sanglot des Cigales est long, très long à terminer. Mais en quoi cela serait un obstacle, en fait ?
Une œuvre, pour rentrer dans les carcans habituels du divertissement, se limite à une durée spécifique jugée comme plus ou moins accessible. Vous avez certainement déjà entendu des gens qui refusent catégoriquement de regarder un film de trois heures, parce qu'ils "savent qu'ils vont s'ennuyer". Je n'ai jamais compris ce genre de raisonnement. Je suis au contraire très attiré par les œuvres de taille, justement parce que leur longueur fait que toute la chance est donnée à quelque chose d'inhabituel, d'immersif et de puissant. Et si le pari est réussi, alors j'en aurais eu pour mon argent, et donc mon temps.
Le Sanglot des Cigales prend le pari sur la très longue durée. Mais cette durée n'est pas celle d'un roman-feuilleton du XIXème siècle, où de nombreuses longueurs apparaissent pour que les auteurs puissent vendre plus de pages.
Ici le temps est utilisé de plusieurs manières. L'auteur profite de cette absence de carcan pour développer au maximum le décor et les personnages qui l'habitent. Nous y reviendrons, mais ceci permet à ces deux éléments d'être bien plus marquants que ceux de n'importe quelle œuvre d'un format plus habituel. Très vite je me suis senti immergé dans l'univers d'Hinamizawa, son histoire, ses traditions, ses lieux et les liens particuliers entre les habitants. Ce n'est pas une simple histoire que je lisais mais bien un voyage culturel, une découverte progressive d'un nouvel univers, où tout le temps nous est donné pour que nous nous installons tranquillement. Plutôt que de présenter un nouvel univers en insistant sur les liens qui existent entre celui-ci et le nôtre, l'auteur prend justement le temps d'insister sur la question de l'altérité, sur ce qui est différent de ce que nous avons l'habitude de voir. Être dans un monde où tout serait identique. On peut commencer le Sanglot des Cigales parce qu'on s'ennuie et qu'on aimerait trouver un moyen d'améliorer le temps qui passe. L'auteur va donc profiter de ce besoin du lecteur pour étendre au maximum l'expérience vécue, transformant la simple histoire en "expérience de vie".
Et la vie n'aurait aucun intérêt si rien ne s'y passait. Il faut bien que des êtres humains peuplent le village dans lequel nous sommes arrivés, ne serait-ce que pour pour tuer le temps.


2 - Les personnages. L’œuvre sort de la masse à partir du moment où l'on comprend que tout le monde est un héros dans LSC. Le héros de sa propre vie. Ce n'est pas une simple histoire où nous avons un héros qui va affronter un méchant dans une aventure personnelle autour de laquelle gravitent des adjuvants et des opposants. Chacun a sa part d'importance, et, combiné au premier point, chacun a le temps de devenir un héros. Un personnage qui ne sera pas développé pendant plusieurs tomes deviendra un héros beaucoup plus tard. Le petit truc en plus, c'est que l'auteur prend le temps de s'épancher sur ces derniers et la place qu'ils occupent dans le monde. Quelles sont leurs motivations ? Leurs émotions ? Leur façon de voir les choses ? Pourquoi en sont-ils arrivés là ? Ont-ils eu des échecs et des réussites dans leur vie ? Comment cela s'est passé ? Vont-ils évoluer ?
Les personnages ont le temps de s'affiner, ce qui donne une envie perpétuelle de continuer la lecture, puisque la surprise est toujours au bout de la phrase. Tout comme dans la vraie vie on pense connaître quelqu'un, un évènement imprévu peut surgir et rebattre les cartes. La vie surprend les personnages du Sanglot des Cigales, qui nous offrent une nouvelle facette d'eux-mêmes, alors que nous étions persuadés de les avoir cernés. Je me surpris moi-même à me voir éprouver une triste compassion à un personnage que je trouvais inintéressant et agaçant quelques minutes auparavant.
LSC est une œuvre humaniste parce que ses personnages expriment de par leur nature les conflits ô combien importants de la vie. Ils s'engagent dans des solutions qui sont les leurs pour résoudre ce qui ne va pas. Nous allons les suivre, entendre leurs complaintes, nous recueillerons leurs douleurs et leurs joies. Et notre compassion se nouera dans un désir de bonheur pour eux. Sauf que ce n'est pas simple. Il est bien connu que la vie est compliquée (même si nous sommes prompts à ignorer ce fait) et à la fin de chaque aventure le personnage autant que le lecteur subira la leçon que lui apporte celle-ci. C'est pour cette raison que je vois parfois dans les critiques de la saga une idée selon laquelle le lecteur se sent "grandir" au fur et à mesure de la lecture. Mais on ne grandit pas en réussissant chaque défi qui nous est imposé, et un tel fait est particulièrement mis en avant dans la construction du scénario.


3 - Le scénario et le lien avec le lecteur. Ici je ne vais pas trop parler de la fameuse énigme que pose l'œuvre. Ce n'est pas tant un whodunit qu'un where, when, how et surtout why, en passant par le moins connus oh yes I can understand why but I cannot accept it well I don't know it's hard to tell oh this is really hard to judge but so interesting.
Par les évènements qui s'y déroulent, par les actes des personnages qui y vivent, l'œuvre interroge directement les valeurs du lecteur. Ce dernier peut alors prendre la place de juge, jusqu'à en faire presque un acteur à part entière. Les personnages s'adressent d'ailleurs souvent au lecteur, invité sans cesse à réfléchir sur ce qui s'y passe. Comment s'ennuyer lorsqu'on est perpétuellement pris dans l'action ? Car cela marche diablement bien et le temps passe parfois à une vitesse incroyable. Au-delà de ce fait, cela pousse le lecteur à éprouver d'autant plus d'affection pour l’œuvre, tant il se sent concerné.


Ce qui est d'ailleurs visible dans les critiques du site : j'ai vu plusieurs fois des lecteurs parler des aventures de Keiichi, Rena, Mion, Satoko et Rika comme si elles leur étaient arrivés, ou du moins, comme s'ils y avaient vraiment assisté.


Ce réalisme et cette inclusion du lecteur est dû au côté slice of life de LSC.
Il m'est arrivé par le passé de ne pas accrocher à une œuvre japonaise à cause de la réalité fantasmatisée qui y était dépeinte, et qui était un peu trop loin de la mienne pour que je m'y accroche. LSC évite cet écueil avec brio, même s'il n'est pas exempt de quelques japoniaiseries typiques. C'est ce qui fait son charme de toute manière, ce qui permet de distinguer l'œuvre de la masse.
Derrière ces tranches de vie, qui ennuieront parfois le lecteur, particulièrement au tout début, ressortira toujours la même idée : elles sont nécessaires, car elles posent un cadre à l'histoire. Un moment de cuisine entre amis, s'il ne fait pas avancer l'histoire, est néanmoins un bon prétexte pour développer les personnages et la relation qu'ils entretiennent. Et c'est réalisé avec une telle délicatesse que je n'ai ressenti pour ma part aucun ennui lors de ces scènes si simples et pourtant si touchantes. Sans ce type de scènes, les moments plus portés sur l'action n'auraient pas la même puissance.
Ce qui nous amène à ce que j'appelle le côté "moral" de LSC. Des grands thèmes humains sont brassés, de la violence au fanatisme, de l'angoisse existentielle jusqu'à l'injustice. Mais ici il n'est pas question de partir dans la simple moralisation "telle chose est bien, telle chose ne l'est pas". Non. Malgré son caractère de fiction l'œuvre traite de la vie sous tous ses aspects. Et les aventures des personnages résonneront avec votre propre histoire.
Et si nous nous intéressons à la fiction pour prendre une pause de la réalité, le Sanglot des Cigales y revient soudainement en nous confrontant à des raisonnements, des idées, des valeurs, des dilemmes qui nous parlent, nous font ressentir des émotions, nous rappelle que, merde, la vie est riche et vaut le coup d'être vécue, pour peu qu'on garde espoir dans ce qu'elle pourrait nous offrir.
Réduire LSC à une simple énigme bien construite est pour moi une grave erreur. Alors oui, celle-ci est incroyablement bien réalisée, mais c'est parce qu'elle est effectuée sur la longue durée, avec un soin particulier accordé à la mise en place progressive des indices et des révélations qui les suivront. Certains moments sont d'un mindfuck absolu, pire qu'un film de Lynch, en plus réaliste. N'ayez jamais la prétention de croire que vous savez ce qui va se passer, car la façon dont est construite l'œuvre fait que tout est possible (je pense ici notamment à la fin du tome 2, qui détruit violemment tout type d'explication que l'on aurait pu se constituer auparavant).
Le temps d'arriver aux réponses de l'énigme, vous allez avoir de nombreuses occasions de reconsidérer le monde autour de vous.


(Partie 2 : https://www.senscritique.com/jeuvideo/Le_Sanglot_des_cigales_R/critique/89104764 )

Mellow-Yellow

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