Critique publiée sur ArtZone Chronicles.
J'achevais ma critique du premier épisode sur « des promesses et des maladresses », souhaitant que la suite de Chrysalis aille plus loin dans l'exploitation du mécanisme « voyage temporel», mais surtout se créée une esthétique et gagne en profondeur.
Mardi commence dans la même veine que lundi s'est fini. Après un bon petit « previously in Life Is Strange » qui rattache définitivement le jeu au média série, on se lève au son d'une musique plongeant instantanément dans l'ambiance réussie du premier chapitre (je parlais d'indie folk). Je ne vais pas revenir dessus, sachez juste qu'elle se fait légèrement plus sombre, mais toujours avec des passages qui laissent un sourire sur le visage du joueur, des forêts ocres traversées par de brillants rayons de soleil, et ce sentiment de promenade.
Chrysalis posait les bases ludiques et narratives. On découvrait le mécanisme ludique principal en même temps que l'univers et les personnages de Life Is Strange. Un épisode classique d'exposition, donc. Out of Time, du côté de l'intrigue, voit les fils s'entremêler, et mine de rien pas mal de choses se passent durant ces 24 heures. Nos actions se font plus nettes, les interactions et les voies plus nombreuses. Mais malgré cette évolution scénaristique, tout cela reste très scripté et peine à gagner en profondeur. Les personnages et leurs relations restent assez mal écrites (les dialogues souvent creux, sans être non plus réalistes), et on ressent au fond assez peu d'empathie envers eux, qu'ils soient protagonistes ou seconds rôles. On est bien loin de la qualité d'écriture filmique dont semble vouloir se rapprocher Life Is Strange.
Et pourtant. Pourtant on suit Max & Cie avec plaisir, dans cette petite ville qui multiplie les références aux œuvres de Lynch, avec ses événements qui frôlent le surnaturel pour installer une forme de malaise dans les petites villes tranquilles. Au-delà de l'hommage mis en valeur (dans les toilettes du restaurant), l'univers recèle de personnages archétypaux tout droit sortis de ses films. La clocharde derrière le Two Whales, on sait qu'on va la trouver, tant la topographie et nos déplacements sont ceux de Dan dans Mulholland Drive. Cette SDF (moins flippant que dans le film tout de même), Joyce, Frank, David... autant de personnages semblant issus de l'esprit de Lynch. Si on prolonge notre aventure avec délectation, c'est que du point de vue de l'influence du joueur sur la narration, le jeu tient ses promesses, ce qui lui permet de passer outre le manque d'adéquation atmosphère/références, qui manque toujours de cohérence. Nous sommes face à de nouveaux choix, et on imagine sans peine l'arbre des possibles auquel ont du se frotter les développeurs. On doit aussi se confronter à nos précédentes décisions, dont on voit où elles nous ont mené sans peine. Mais on se demande à quel point cela aurait pu être différent. Ce qui sera fait en recommençant le jeu (l'envie est toujours là), ou en discutant avec d'autres joueurs. Cette liberté ne semble donc pas accessoire, et même si les causes-conséquences sont cousues de fil blanc et que la multiplicité des facteurs aboutissant à une situation ne peut être tout à fait retranscrite, c'est plutôt grisant et cela contribue à compenser la faiblesse générale du scénario et des personnages.
Finissons par ce qui rattache Life Is Strange au média jeu vidéo et sort du simple « film interactif », le gameplay. Là aussi, on espérait qu'il soit utilisé de manière plus variée que la simple modification des dialogues. Et, sans révolutionner l'idée de base, il y a de ça. Outre une vraie nouveauté en tout fin d'épisode, le voyage dans le temps permet de faire de Life Is Strange un puzzle game light où il faudra faire les choses dans un certain ordre pour pouvoir avancer. Le mécanisme fait aussi appel à la mémoire du joueur, et un voyage ne suffira pas toujours à résoudre un problème, surtout qu'on commence à l'utiliser avec parcimonie quand on voit ses conséquences... Autre petit plaisir ludique, la recherche des photos à faire pour toutes les afficher dans le journal. C'est léger, mais ça occupe !
Out of Time confirme donc la qualité de Life Is Strange, sans tout à fait l'imposer comme un incontournable. Le prolongement se fait dans la douceur, tenant la plupart des promesses et justifiant la séparation en épisodes. En dépit d'un scénario et d'une écriture toujours un peu faiblarde, on se retrouve à mettre de nous dans cette histoire. L'identification se fait par le gameplay et non par le lien aux personnages. Et, comme dans Chrysalis, on vit de très beaux moments, filmés de manière réellement cinématographique et avec goût : le réveil parfait avec cette musique qu'on laisse tourner jusqu'au bout, le climax et la tension de la fin, le stress pour aider Chloe au moment fatidique... Pour ces passages, et même si je ne crois pas que l'ensemble sera un moment clé dans l'histoire du jeu vidéo, l'aventure vaut qu'on la continue. Rendez-vous est pris pour l'épisode trois !
(*) : https://www.youtube.com/watch?v=pFOLvqAQVEo