Quand phobie, mélancolie et psychologie ne font qu’un

Après un premier Silent Hill s’étant déjà catapulté au rang des meilleurs survival-horror à l’époque de sa sortie et y figurant toujours pour moi, Konami poursuit sa lancée en développant un nouvel épisode de cette licence : Silent Hill 2. Le game-design est cette fois-ci confiée à Hiroyuki Owaku, qui n’aura jamais d’autres occasions de diriger un jeu curieusement même s’il travaillera au moins sur des prestigieux Dragon Quest VIII ou Suikoden Tactics avant de tomber dans l’oubli. Voilà en tout cas un jeu dont on pouvait raisonnablement attendre beaucoup et sa réputation est telle qu’il serait encore meilleur que cela. C’est donc avec beaucoup d’attentes que j’ai moi-même abordé cette suite après en avoir fait le premier épisode. La critique étant longue je vous propose une formidable reprise d’Erutan du thème de la boîte à musique, une de mes préférées de cette formidable OST.



GAMEPLAY / CONTENU : 8 / 10



Tout d’abord, le jeu nous propose pour la première fois dans la saga 2 types de contrôles différents, que je trouve complémentaires, ceux dits 3D qui reprennent quasiment à l’identique celles du premier épisode et ceux dits 2D qui sont plus souples et offrent davantage de possibilités d’esquive mais qui en contrepartie se conjuguent mal avec des changements d’angle de caméra. Personnellement, j’ai joué plus longtemps avec les 3D car je les trouve plus agréables que de devoir faire cette petite gymnastique mentale à chaque changement d’angle, mais quand j’étais dans une arène face à un boss dans laquelle les développeurs ont bien pensé à ne pas inclure de changements brutaux d’angle de caméra alors je passais aux 2D. Du coup, si on ne se borne pas l’utilisation exclusive de l’un ou de l’autre on obtient un maniement satisfaisant.


La caméra essaie cette fois-ci de suivre la position de notre personnage continuellement tout en arborant un angle pré-établi au besoin pour l’aspect esthétique ou ludique. Ce dernier est aussi servi par une ergonomie assez recherchée avec par exemple une excellente idée qui pourtant ne paie pas de mine : le regard du personnage qui indique les objets à ramasser ou avec lesquels on peut interagir. Ça remplace habilement les nombreux angles de caméra fixes du premier opus qui indiquaient la même chose mais qui parfois n’y arrivaient pas très bien, là c’est bien mieux. Ils sont toujours présents mais dans une moindre mesure et ça m’a sans doute évité de ratisser 3 fois une même zone de jeu parce que j’avais pas vu un item clef que je confondais avec le décor.


Il est à noter que la gestion de la difficulté a été revu à la baisse avec des ennemis systématiquement plus lents, même les boss qui peuvent être très endurants et faire très mal mais qui ne seront jamais rapides, ce qui s’adapte très bien au maniement lent du personnage. Les ennemis de Silent Hill 1 étaient plus mobiles et me rendaient l’exploration de la ville assez dangereuse, je n’ai pas du tout retrouver ce problème-là et comme les ennemis sont tout de même balèzes et les situations de jeu facilement stressantes, le jeu ne manque pas de challenge pour autant. L’ajustement me semble pertinent et bien exécuté.


Une belle originalité de cet épisode c’est qu’il y a d’ailleurs plusieurs niveaux de difficulté pour les combats et pour les énigmes, j’adore cette initiative de séparer ainsi ces deux phases de jeu pour cette personnalisation. Si pour les combats ce n’est jamais qu’un équilibrage statistique, pour les énigmes, ce ne sont pas des énigmes qui disparaissent dans les versions faciles mais qui sont bien plus ou moins difficiles à résoudre avec des indices plus ou moins généreux, des casses-têtes plus ou moins complexes... il y a eu un vrai effort de fait à ce niveau-là et je ne peux que regretter de ne pas le retrouver plus généralement dans d’autres jeux.


Il n’y a également pas d’interface pour plus d’immersion et une idée que j’ai trouvé géniale c’est le moteur de vibrations de la manette qui est utilisée pour savoir notre état de santé avec des vibrations faisant comme le rythme cardiaque qui s’accélère au fur et à mesure des dégâts. Et il se trouve que l’une des fins réclame de jouer constamment avec peu de HP, ce qui combine à la fois la peur de mourir car se sachant vulnérable et ses vibrations bien flippantes, le combo ultime. Et c’est à ce genre de détail que l’on voit que le gameplay a beau vieillir, que le contenu n’est une fois de plus pas phénoménal, il y a une recherche formidable pour l’exploiter au mieux et je trouve ça admirable, plus que pour le premier opus.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 9 / 10



Si Silent Hill 1 avait le bénéfice technique de sortir en fin de vie d’une console, ce deuxième épisode est l’un des jeux du début de vie de la Playstation 2 et ça se sent. Le passage d’une génération à l’autre ne se perçoit pas énormément avec beaucoup de textures très anguleuses en deçà de ce dont est capable la console qui l'a vite prouvé par la suite mais c’est normal vu la date de sortie du jeu en 2001 et ça reste tout à fait acceptable sur le strict plan technique, il n’y a pas de bugs ou de chutes de framerate, le jeu est loin d’être moche et on retrouve les mêmes astuces pertinentes de réalisation dans une version un peu plus aboutie, c’est ce qui compte.


Le brouillard est toujours aussi présent que dans le premier opus, c’est pas un mal car il était très bien utilisé à l’époque et il l’est à nouveau en plus d’avoir été retravaillé avec des sortes de nappes plus ou moins transparentes et plein de petites particules entre elles, ce qu’ils ont appelé le brouillard atmosphérique. Beaucoup de jeux modernes ont des effets de brouillard beaucoup plus basiques, à commencer par la version pseudo HD de ce même jeu bizarrement. Bien sûr, on peut regretter que la distance d’affichage n’ait pas été améliorée d’une génération à l’autre mais c’est tellement bien utilisé dans le jeu que personnellement je comprends parfaitement ce choix qui s’est presque attaché à l’ADN de la saga.


Pas mal d’éléments montrent un soucis du détail très appréciable, par exemple on laisse des traces de sang une fois qu’on a marché dedans, sang dont on peut aussi changer la couleur parce que pourquoi pas ? De façon un peu plus importante, les cinématiques en images de synthèse sont d’une qualité impeccable et elles s’enchaînent très bien et vite avec les phases de jeux en temps réel qui marquent quand même une sacrée différence mais c’est inévitable vu le support encore peu maîtrisé et on reconnaît bien tout de même les personnages, donc ce n’est pas un soucis. Pour chipoter, il n’y a toujours pas de modèle 3D pour examiner les objets dans l’inventaire, alors que je pense que ça aurait été utile à certains moments.


Mais si la technique est correct tout en étant perfectible, l’esthétisme et l’ambiance sont à nouveau d’une qualité extra-ordinaire pour un survival-horror. Les ennemis aussi glauques que possibles jusque dans leurs animations, la bande-son oppressante en jeu avec plein de bruits d’ambiance qui mettent bien mal à l’aise, les moments de mélancolie et de poésie par la musique et un décor qui nous offrent une bouffée d’oxygène que l’on ne peut que respirer à plein poumon... je ne veux même pas donner d’exemple précis à l’écrit, il faut y jouer pour bien saisir cette portée je pense.


Au début, les environnements parcourus ne m’ont pas paru très inspirés, voire copiés-collés du premier Silent Hill, ce qui m’a un peu inquiété mais dans la deuxième partie du jeu j’étais rassuré avec d’autres environnements inédits, toujours adaptés au ton du jeu et faisant simplement référence lors de courts instants au jeu précédent tout en s’en différenciant, finalement j’aime bien cette répartition. Donc à part quelques détails techniques sans grande importance et partiellement excusés par la date de sortie du titre, Silent Hill 2 m’a très bien convaincu sur ce point même si Silent Hill 1 avait le mérite d’en poser les bases et d’exploiter au maximum son support.



SCENARIO / NARRATION : 10 / 10



Le scénario diffère pour beaucoup du premier Silent Hill en ce sens qu’on ne retrouve pas les mêmes personnages, il n’y a pas de continuité évidente entre les deux épisodes même s’il y a tout de même des subtils éléments de scénario liés à d’autres jeux Silent Hill, même à venir, en revanche le pitch de base et la narration en sont très proches. On incarne un homme qui se retrouve à Silent Hill tout seul à la recherche d’un être aimé, ce qui va le conduire dans un cauchemar surnaturel de plus en plus glauque dont on se demande sans arrêt quel peut en être le sens à partir des bouts de scénario que le jeu veut bien nous laisser approcher.


Encore une fois, j’aime bien cette narration qui pousse à essayer d’analyser tout élément du jeu pour se faire sa propre interprétation que l’on ne cesse de bousculer suite à des révélations que l’on ne comprend pas vraiment mais qui remettent tout à plat. Par exemple, un personnage meurt devant nos yeux puis on le recroise plus tard et dit qu’on a juste été séparé : Est-ce que ça veut dire que notre personnage a halluciné ? Que ça c’est passé dans une autre dimension et que ça n’a pas d’impact sur celle dans laquelle on est en ce moment ? Que ce personnage est tout simplement irréel et n’existe que dans notre esprit ? Toutes ces suppositions peuvent se fonder sur des éléments précis et être cohérentes jusqu’à une nouvelle révélation. J’espère par cet exemple vous avoir fait comprendre comment cette narration fonctionne et pourquoi est-ce que je l’aime autant.


Pour ceux qui ont fait le jeu et veulent comprendre l’essentiel de l’histoire dans sa version la plus fidèle au jeu et la saga, je vous invite à lire cet article de ThoRCX ; et pour prouver à quel point les choses ne sont pas aussi simples et ne méritent pas qu’une explication universelle, je vous invite à regarder cette vidéo où deux joueurs, Mouktouk et Yamienvy, débattent de leur interprétation. Pour en revenir à mon avis personnel sur la question, je trouve que les conditions pour débloquer les fins sont parmi les plus intelligentes qu’il m’ait été donné de voir tout jeu confondu.


Le jeu analyse les réactions et les choix purement ludiques que nous faisons pendant la partie et oriente la fin en conséquence pour coller au plus près de la fin qui nous correspond en tant que joueur ayant été plus ou moins réceptif à telle ou telle partie de l’histoire par exemple. Une fin qui comme elle en a la réputation s’avère bien entendu riche en rebondissements et en émotions fortes, c’est l’une des meilleures fins de jeu que j’ai pu voir. On a à la fois cette intensité, que je ressens assez traditionnellement dans mes fins préférées, conjuguée à cette manière si élaborée, si pertinente, si ludique d’y arriver.


De plus, des thématiques matures et intéressantes sont abordées et pour le coup : rien n’est manichéen ou laissé au hasard. Si une créature est abjecte et adopte un comportement encore plus abjecte, il y a une raison, ce n’est pas gratuit, comme Pyramide Head qui viole des monstres efféminés, un comportement qui peut parfaitement être compris pour nourrir certaines interprétations du rôle de ce personnage. Le jeu est d’une certaine violence mais son propos le justifie, à tel point qu’il fait partie des jeux vidéo les plus ambassadeurs de la violence utilisée pertinemment et non comme un moyen de faire du bad buzz ou de rendre une action grotesque pour faire marrer. C’est une des plus grandes forces à mon sens de ce jeu et il m’a vraiment fallu le faire pour m’en convaincre.


À bien regarder il y a quelques petits défauts anecdotiques dans la narration, par exemple je croise un mec et je lui pose une question à propos d’un cadavre que je n’avais pas encore vu mais le jeu considérait que je devais déjà l’avoir vu à ce moment-là, ça aurait été sympa que le dialogue varie selon si j’ai vu le cadavre ou non, ou alors si le cadavre ne pouvait vraiment pas être loupé avant de déclencher le dialogue. En dehors de ça, parce qu’il m’a vraiment fallu chercher pour trouver un petit truc à redire, le scénario est d’une profondeur, d’une richesse, d’une intelligence, d’une maturité... qui me font lui accorder cette sous-note maximale.



CONCLUSION : 9 / 10



Le gameplay a un peu vieilli, le jeu n’est pas une tuerie technique, mais ça ne plombe en rien l’expérience de jeu incroyable que Silent Hill 2 m’a procuré. Le genre du survival-horror tient là le jeu qui fait tout ce qu’il est possible avec tout ce qu’il a à sa disposition pour faire vivre une expérience horrifique intense dans le but de finalement émouvoir tout en étant d’une cohérence et d’une richesse incroyables, quasiment uniques. Il a ses limites et défauts que j’ai mentionné ici et là et qui justifient que je lui accorde 9 / 10 et non pas 10 / 10 (ce que j’ai hésité à faire) mais il est un incontournable des survival-horror, oubliez-ça, il est l’incontournable des survival-horror ! Ce n’est peut-être pas le cas de son extension disponible dans la version Director’s Cut.

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le 7 juil. 2017

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damon8671

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