À la différence des deux premiers opus de la série, Ace Combat 3: Electrosphere ne situe pas son intrigue dans le présent mais dans un avenir assez proche : c'est donc le premier titre de la licence à appartenir pleinement au registre de la science-fiction (1). Pour une franchise qui s'était jusqu'ici bâtie sur la simulation de combat aérien moderne, le parti pris des développeurs avait de quoi surprendre et même inquiéter : comment, en effet, conserver le réalisme d'une simulation quand celle-ci met en scène des technologies pas encore inventées, et donc encore moins testées, au moment du développement du jeu ? En d'autres termes, ce qui fait la substance même d'Ace Combat ne risquait-il pas de disparaître ?
Pourtant, ç'aurait été oublier un peu vite qu'aucun titre de la série n'a jamais vraiment prétendu au réalisme pur et dur pour commencer. Ace Combat, en effet, a commencé comme un jeu sur borne d'arcade, c'est-à-dire un type de production où le divertissement compte plus que la simulation. Dès lors, la question de la projection de cette licence dans l'avenir devait se poser tôt ou tard : le réel s'avère assez vite limité après tout, du moins si on ne veut pas donner une coloration politique au titre développé... Et sur le point de la distraction et du dépaysement, Electrosphere ne déçoit pas : c'était alors l'unique opus de la série à proposer une mission aux commandes d'un Lockheed SR-71 Blackbird ou encore... dans l'espace.
Mais une ombre plane sur Electrosphere, celle de Macross, et surtout Macross Plus (Shoji Kawamori ; 1994). La simple évocation d'une intelligence artificielle comme pilote de jet de combat, d'ailleurs, se montre assez implicite ; ajouter à ça une rivalité acharnée entre deux corporations de grande envergure dans leur domaine respectif, et le tableau est complet... De plus, certains visuels du jeu revendiquent assez clairement l'inspiration dont ils découlent : les instruments et les données du cockpit de l'appareil du joueur, par exemple, rappellent beaucoup ceux de l'avion que pilote Guld Bowman à l'aide de ses propres ondes cérébrales – un système de guidage d'ailleurs lui aussi présent dans Electrosphere, ou du moins dans sa version originale japonaise.
D'autres innovations aussi, et de taille, dans les mécaniques de jeu. La fonctionnalité la plus plébiscitée reste encore la possibilité pour le joueur d'orienter à 360° la caméra simulant le point de vue du pilote, ce qui permet de conserver en permanence l'ennemi dans son champ de vision ; cet aspect du jeu devint si populaire qu'il se vit porté sur tous les autres opus suivants de la série. Enfin, pour la première fois dans l'histoire de la franchise, le joueur pouvait choisir son armement pour améliorer ses performances en mission au lieu de devoir toujours jouer avec l'équipement par défaut : ainsi pouvait-on troquer sa mitrailleuse par un canon lourd et choisir ses types de missiles ou de bombes selon les objectifs à remplir.
Enfin, l'ensemble des visuels de l'interface rappellent beaucoup les recherches graphiques de la série de jeux de course futuristes WipEout développée par Psygnosis, et en particulier son opus Wip3out (1999) dont nombre d'écrans de choix et d'options sont en nuances de gris comme sur Electrosphere ; de même, l'affichage tête haute ainsi que les logos des principales factions d'Ace Combat 3 trahissent eux aussi un style proche de celui de l'esprit visuel de WipEout. Pour finir sur ce point, on peut évoquer la bande originale, toute en musiques électroniques – encore une fois, comme dans WipEout – au lieu de la musique rock aux nets accents métal auxquels la série nous avait habitué jusque-là : plus qu'un simple changement, mais une personnalité entièrement nouvelle...
Mais l'aspect le plus intéressant du titre reste absent de ses versions occidentales, car son scénario s'est vu très sérieusement amputé lors de ses localisations hors du Japon. Avec ses cinématiques dans le style anime – réalisées par Production I.G – et ses personnages fouillés interagissant tout au long de ses 52 missions, Ace combat 3 était en fait bien plus qu'un simple jeu de simulation de combat aérien futuriste, mais bel et bien un récit au sens strict du terme. Dépouillée de presque tous ses éléments narratifs et son compte de mission réduit à 36, la version américaine n'est plus que l'ombre de l'originale ; quant à la version européenne, elle ne propose que les missions et plus aucune histoire... De sorte qu'au final on saisit mal ce qu'est cette « electrosphere » qui conclue la partie.
Il reste néanmoins un titre tout à fait exceptionnel pour son époque, dont la réalisation a très bien résisté au temps, et dont la variété dans les objectifs de missions, la qualité des designs des avions fictifs qu'il propose et la diversité des armements et des équipements que peut choisir le joueur procurent des sensations de jeu tout à fait mémorables. Bref, c'est un titre qu'aucun passionné d'aviation moderne ne saurait rater.
1) encore que les deux précédents effleuraient au moins ce genre puisqu'ils se déroulaient dans une réalité parallèle où les événements historiques ne sont pas arrivés exactement tels qu'on les connaît, ce qui en faisait donc des uchronies.
Note :
Bien qu'aucun remake officiel d'Electrosphere n'ait été annoncé par les développeurs pour le moment, et même si cette option n'a jamais été définitivement écartée non plus, un groupe de fans a lancé en 2009 un projet de traduction complète de la version originale japonaise du jeu, intitulé Project Nemo – Translating Ace Combat 3: Electrosphere.