Il est difficile de critiquer un jeu qui a plus de vingt ans et est aujourd’hui totalement dépassé techniquement, aussi je le critiquerai par rapport au contexte de l’époque (autant dire sinon que les effets spéciaux du premier king-kong sont moisis, si on part comme ça.)
Jeremy Hartwood, heureux propriétaire d’un grand manoir en Louisiane s’est suicidé dans son grenier. Un suicide qui soulève des questions de la part de sa nièce Emily mais également la convoitise de certains antiquaires qui embauchent le détective Edward Carnby pour aller faire un inventaire des lieux… Naturellement, une fois sur place, nos héros vont comprendre que tout ceci pue un peu. Comme une odeur d’eau croupie et de créature millénaire…
Tu m’fais pas peur avec tes 200 polygones ! Ou alors un peu…
Alone in the Dark était l’un des premiers jeux à proposer d’évoluer en 3D - une semi- 3D puisqu’il s’agit d’un personnage en 3D évoluant dans des plans fixes en 2D, jouant sur la perspective pour donner l’impression de se déplacer dans l’espace. Reste que le mélange est parfaitement dosé, les décors (pour l’époque) sont très beaux et détaillés. L’ambiance - posée par une intro redoutablement efficace - de Derceto est glaçante, même avec vingt ans au compteur. Les concepteurs du jeu ont joué sur le cadrage afin de faire venir l’ennemi du hors-champ, le plus souvent. Vous ne vous faites pas réellement sauter dessus, dans Alone in the Dark, le danger vient généralement de votre angle mort, ou comment user des limitations techniques pour provoquer l’anxiété. L’utilisation intelligente des limites, c’est finalement ce qui caractérise le mieux “Alone in the dark” : un soudain changement de musique, un bout de polygone qui grogne apparaissant depuis votre angle mort et vous voilà en train de vous affoler sur vos commandes. La modélisation des éléments “jouables” (objets, personnages, monstres) prêtera à sourire aujourd’hui mais matez un peu ce qui se faisait en 92 chez la concurrence et croyez moi : c’était le top pour l’époque. Je vous rappelle comme ça qu’on trouvait le premier tomb raider magnifique à sa sortie.
Se battre avec un couteau à beurre ou le seum du survivant
Les commandes, parlons-en : le jeu reprend certains élément de gameplay du “point’n click” où il faut au préalable sélectionner l’action dans une liste prédéfinie avant de pouvoir la réaliser en pressant sur la touche “agir”. Ici, on peut se battre, fouiller/ouvrir, fermer, jeter, interagir et sauter, dans certaines situations. Toute action réclame donc d’ouvrir le menu d’inventaire au préalable pour se placer dans le bon “mode”.
Si cela peut sembler rébarbatif, il est important de signaler que malgré les apparences, Alone in the dark n’est pas un jeu d’action. Nous sommes dans un survival. Et si le genre est aujourd’hui pas mal dévoyé pour basculer dans du TPS, son précurseur, lui, n’était clairement pas tourné vers le combat, qu’il est préférable d’éviter autant que possible. Votre personnage est lent, ses coups presque inefficaces et les monstres en face font TRÈS mal (compter sept ou huit coups pour un game over). Quant aux objets de soins, vous en trouverez autant que d’armes et de munitions : 4 ou 5 trousses disséminés dans des coins souvent dangereux, deux armes à feu avec six ou sept cartouches chacune, un sabre qui cassera au bout de quelques coups, une poignée de couteaux aussi peu efficaces que vos coups de poing et une épée - seule véritable arme puissante du jeu. Que vous ne récupérerez bien sûr qu’après vous être mis sur la gueule avec une demie-douzaine de bestioles - dont certaines immortelles - qui auront réduit vos points de vie à une décimale. Sans compter que le contact avec certaines créatures (voire avec certains objets…) signifie la mort instantanée. Autant dire dans ces conditions qu’ouvrir le menu pour consulter son inventaire et son panel d’action n’est pas une contrainte mais une pause bienvenue pour mieux gérer les situations de crise. Non pas que le jeu ait un rythme endiablé - nous sommes en 92 et dans un précurseur de la 3D - mais il ne vous fera aucun cadeau. Pour vous donner le ton, lorsque vous démarrez la partie, comptez une minute - en temps réel - pour qu’un monstre défonce la fenêtre pour vous souhaiter la bienvenue. Et en admettant que vous surviviez à ce premier instant de panique - alors que vous n’avez les commandes en main que depuis soixante secondes - un second monstre surgira du plancher pour vous finir. Enjoy.
Raconte-moi une histoire, grand-père Cthulhu
Ce qui renforce l’ambiance angoissante d’Alone in the dark, outre sa musique et ses effets de mise en scène, ce sont les dizaines de documents trouvés sur votre route : intégralement lus en français par des doubleurs qui se donnent à fond, ils tracent, progressivement, l’histoire de Derceto et vous permettent de deviner ce qui se tapit dans le manoir et semble vous en vouloir. Empruntant directement aux textes de Lovecraft, le jeu rend remarquablement hommage à son univers, liant ainsi les médias de la littérature fantastique et du jeu vidéo, une idée brillante qui donne à “Alone in the dark” une réelle crédibilité (personnellement, il m’a incité à découvrir Lovecraft et rien que pour ça, il mérite mes louanges). Ces documents ne sont pas seulement une source d’immersion pour le joueur, ils fournissent également de précieux indices, sans lesquels certaines créatures sont tout simplement impossibles à battre, ce qui signifie une mort rapide et expéditive pour votre personnage. Notons au passage que choisir Emily ou Carnby ne changera strictement rien à votre progression, dommage, des différences même menues auraient été les bienvenues mais on ne va pas râler qu’un jeu laisse le choix du genre (ce qui était apparemment plus tendance en 92 qu’en 2015…). Disons qu’avec le soin apporté au reste, les petits gars d’Infogrames auraient pu pousser un peu plus loin qu’un simple ajout esthétique, surtout que les personnages ont tout deux des motivations très différentes.
Je t’aurais, salaud de papier-peint !
Tout ça est bien joli et si le contrôle des combats dégueulasses peut s’expliquer par les balbutiements d’un gameplay en 3 dimensions plus tourné vers la survie que la castagne, on peut se demander la légitimité d’avoir laissé une telle fonction. Parce qu’avec sa “semi 3D”, Alone in the Dark n’aide pas vraiment a apprécier les distances et il n’est pas rare de se retrouver à faire une clé de bras à un mur plutôt qu’au monstre, qui lui, n’a aucun problème pour vous viser. Au final, un combat consiste à essayer de se placer face à l’adversaire - sachant que le moindre coup nous fait reculer et ruine tous nos efforts - pour le cogner efficacement et qu’il peut arriver que l’enfoiré passe entre nos coups pour nous enchaîner et nous envoyer direct au game over. Les premières parties se terminent très souvent comme ça, d’ailleurs : le premier ou le deuxième combat vous enverront ad patres sans que vous ayez pu placer un seul gnon. Naturellement, les monstres mettent une petite dizaine de coups à crever. Quant aux armes à feu, vous pouvez les oublier, à moins d’avoir le nez du monstre en pleine ligne de mire : la visée automatique attendra Tomb raider et vos six balles suffiront à peine pour venir à bout de trois créatures, si vous ne ratez pas votre coup. Le meilleur plan reste encore de fuir, ce qui est à peine plus évident : si Carnby/Emily répondent bien aux commandes, celle de course consiste à appuyer deux fois sur la touche haut d'affiler et il n’est pas rare de devoir s’y reprendre à deux ou trois fois pour arriver à l’enclencher, un bonheur quand une sorte de dinde mutante est en train de vous meuler les chevilles à coup de dents.
Bref, pour moi l’option “combat” était largement dispensable et celle de l’esquive ou de la discrétion aurait du être davantage explorée… mais encore une fois, difficile de râler sur un jeu qui était clairement une expérience ludique et technique pour Infogrames, une première expérience soignée sur tout ses autres points qui proposait une histoire solide, une immersion efficace, de la peur, du stress et un vrai challenge.
Si à trente ans, t’es pas mort à Derceto, t’as raté ta vie...
Car, au cas où vous ne l’auriez pas compris : comme tous les jeux de l’éditeur français, Alone in the dark est dur. Imprégnez-vous bien de la cinématique de game over, elle va hanter vos nuits. Et pouvoir sauvegarder à tout moment n’y change rien : vous allez morfler. Le jeu est chiche en munitions, en objets de soins, le bestiaire tape fort et vite et les moyens de se soigner ont de douces allures de troll : un monstre vous fera 5 points de dégâts, un objet de soins vous en restaurera 3. À ce compte-là, on ne survit plus, on racle les tiroirs des commodes de derceto à la recherche du moindre nurofen oublié là par un servant de Cthulhu. Chaque affrontement doit être pesé, préparé et géré au poil si on veut voir la fin du jeu, une difficulté qui n’est pas qu’un parti-pris mais aussi le fait des problèmes de gameplay. En gros, on peut reprocher à Alone in the dark tout les défauts des premiers jeux en 3D : visibilité limité, maniabilité handicapante, lenteurs de gameplay. Ce qui fait la différence, cependant, c’est qu’Alone in the Dark parvient à faire partie des jeux souffrant le moins de ces défauts, tout en étant le premier du genre, ce qui en dit long sur son degré d’aboutissement. Alors, oui, le jeu vous en mettra plein la gueule et donne au mot “survie” son sens le plus complet, oui il est rageant de faire de la savate contre une rampe d’escalier pendant qu’un zombie est en train de vous éventrer en sifflotant, mais Alone in the Dark reste un must pour son grand âge...et bien plus que ça.
Alone in the dark n’est plus vraiment un jeu vidéo, en fait, il aurait davantage des allures de relique, d’étape dans l’histoire du média, aussi est-il difficile d’en faire une critique plus de vingt ans après sa sortie. Les nouveaux gamer ne s’y essayeront jamais et je ne le leur recommande de toute façon pas, à moins qu’ils soient passionnés par le jeu vidéo en tant que média plutôt qu’en simple divertissement. Car outre ses qualités d’époques, Alone in the Dark a engendré les resident evil, silent hill et autres project zero, autant de licences qui nous ont donné des jeux mythiques. La différence majeure - et l’injustice la plus flagrante - c’est que si n’importe quel joueur peut citer resident evil ou silent hill, peu nombreux sont ceux qui connaîtront “Alone in the Dark”, tombé depuis dans la déchéance des licence dont l’éditeur a fait n’importe quoi (au moment où j’écris ces lignes, le nouvel opus est considéré comme un des pires jeux 2015.). Quant à son créateur, Frederic Raynal, il s’est vu dépouiller de son bébé après la sortie du premier opus. Un jeu essentiel qui ne réitéra jamais son exploit, donc.
Bref, comme pour la croix de Coronado, la place d’Alone in the Dark est dans un musée… si l’histoire du jeu vidéo vous intéresse, si vous êtes un(e) mordu(e) de survival, alors ce jeu doit faire partie de vos expériences. Éteignez la lumière, chaussez votre casque. Vous êtes seul(e). Bonne chance.