Comme pour le cinéma, quand on crée un jeu-vidéo, il est courant (voire normal) d’en avoir : ce sont œuvres suffisamment marquantes pour qu’on les retrouve dans ses propres créations et ce, de manière plus ou moins consciente. Cependant, pour qu’une œuvre, ici un jeu, trouve sa pleine identité et qu’elle soit le reflet de la vision de son auteur, il est important que ces influences soient digérées, intégrées, dépassées. Autrement, ce jeu n’est plus qu’une suite sans âme d’éléments pris à droite à gauche, un patchwork impersonnel et, reconnaissons-le, un poil fainéant.
Dans le cas d’Anodyne, l’influence la plus évidente, celle qui saute au visage dès les premiers instants de jeu, est The Legend of Zelda - A Link to the Past : même style en pixel-art 16-bit, même vue du dessus, même mélange d’exploration/action/RPG-light, même enchaînement de donjon/overworld, même défilement écran par écran… On retrouve aussi des clins d’œil plus ou moins directs au hit de Nintendo parmi les personnages ou les lieux visités. Bref, une influence affichée, revendiquée et qui finira par voler en éclats au bout d’une heure de jeu. Car Anodyne n’est pas qu’un simple Action-RPG singeant son vénérable ancêtre et il ne suffit pas de remplacer l’épée de Link par un balai pour se targuer d’être original ou de renouveler le genre. Non, l’originalité d’Anodyne ne vient pas de son système de jeu mais de sa narration, de ses thématiques et de son esthétique.
Niveau gameplay, on reste dans du classique, de l’éprouvé, voire du légèrement rebattu : grâce au balai, vous pouvez vous défendre contre les différents ennemis, activer des interrupteurs, déplacer des blocs (de poussière), rien de bien fou-fou. De même, dans les donjons, on enchaîne les salles piégées où il faut se débarrasser des ennemis pour en sortir, les énigmes sont à base d’interrupteurs/clés à trouver et les combats de boss ont des patterns d’attaque prédéfinis… Au sujet de ces combats, à l’exception du boss final, il suffit de bourrinner comme un sagouin pour que ça passe – dommage. Au cours de la progression, vous trouverez des objets changeant les caractéristiques d’attaque (allonge étendue, attaque latérale…), des améliorations de points de vie et vous débloquerez le saut à la moitié du jeu. Cla-ssique.
Il y a également une collection de cartes, planquées aux quatre coins de la zone de jeu et qui sont nécessaires pour débloquer certaines zones : il en existe 48 au total et 36 sont obligatoires pour atteindre le combat final. Par conséquent, le jeu incite fortement à explorer la map de fond en comble et à revisiter les zones déjà terminées pour utiliser, comme dans les Zelda, les capacités nouvellement débloquées. En général, les donjons vous apprennent à utiliser chaque compétence ou à les utiliser d’une façon différente : par exemple, le premier donjon vous montre comment déplacer les blocs de poussière pour s’en servir de bouclier ; un donjon plus avancé vous montrera qu’il est possible d’utiliser ces même blocs comme une embarcation sur l’eau (1) (ce qui sera très utile pour explorer l’overworld). Il existe toutefois une mécanique de jeu véritablement originale, le « Swap », mais comme celle-ci n’intervient qu’après le combat final et qu’elle sert uniquement à trouver les 12 dernières cartes, j’y reviendrai dans la *SPOILER ZONE*, un peu plus loin.
Comme je le disais en introduction, l’intérêt d’Anodyne réside, outre son système de jeu éprouvé mais solide, dans son esthétique et sa narration. Une esthétique inspirée, de prime abord, par le Zelda période SNES mais qui, très vite, trouve son identité propre. Le jeu se déroule dans l’esprit de son héros, Young, et c’est l’occasion pour les développeurs de proposer toute une variété d’environnements et d’ambiances : temple Zelda-esque, forêt typée fantasy, hôtel hanté, plage paradisiaque, donjon 8-bit, ville moderne en Noir et Blanc… Ce sont ces grands écarts stylistiques, ces ruptures de ton (on passe d’un environnement très « bluesky game » à un autre hérité du survival-horror sans aucune transition) qui font d’Anodyne un titre éminemment attachant. Cela évite également qu’une lassitude ne s’installe, malgré le peu d’évolution des mécaniques de jeu. La musique de Seagaia (Sean Hogan, co-développeur du jeu) est extrêmement soignée, tantôt envoûtante et mélancolique, tantôt inquiétante et tendue, correspondant toujours à l’ambiance particulière de chaque zone : on reste dans des sonorités chiptunes mais le tout sonne comme de l’ambient atmosphérique, presque électro. Le score est par ailleurs très sympa à écouter à côté, comme la BO d’un bon film : si le cœur vous en dit, vous pouvez acheter l’OST complète sur le Bandcamp de Seagaia.
Concernant la narration et l’histoire, le jeu se trouve dans les canons du jeu indé’ actuel : c’est plutôt torturé, cryptique et un brin déprimant. Notez que ce n’est pas une critique de ma part, étant plutôt client de ce genre d’ambiance dans le jeu-vidéo : la narration est elliptique et pleine de sous-entendus, ce qui laisse une grande part d’interprétation personnelle au joueur quant au fin mot de l’histoire. On n’a que peu d’informations sur la finalité de notre quête – protéger le Briar ? c’est qui/quoi un Briar ? – et la résolution ne viendra pas éclairer notre lanterne : le jeu se contente de nous faire comprendre que Young a peut-être commis des actes innommables, à moins qu’il ne s’agisse du/de Briar, et que, des suites de ça, une corruption s’est emparée de son esprit. Il faut préciser que le terme "anodyne" signifie "anti-douleur" et que le nom du studio de développement est "Analgesic", autre nom pour "anti-douleur". Bref, on tire des conjectures au fur et à mesure que l’on joue, sans que le jeu ne vienne les infirmer ou les confirmer : l’ombre de David Lynch plane évidemment sur le jeu, ce qui, vous vous en doutez, me réjouit au plus haut point !
*SPOILER ZONE – A LIRE APRES AVOIR TERMINE LE JEU UNE 1ERE FOIS*
Après votre victoire contre le boss final, vous pouvez reprendre votre partie afin de trouver les 12 dernières cartes du jeu, ce qui n’est possible que grâce au « Swap », ultime amélioration du balai. Le « Swap » permet d’échanger librement la place de deux éléments de jeu : ainsi, le passage dans la forêt qui était bloqué par un rocher infranchissable (2) n’est plus un problème, puisque il suffit de « swapper » le rocher avec une portion de sol sur lequel le personnage peut marcher. Cette capacité permet également de « swapper » un élément au bord de l’écran pour se retrouver en dehors des limites de la map : plusieurs salles secrètes se trouvent dans ces écrans limitrophes de la map, il est plus que conseillé d’explorer cette zone de néant avec beaucoup de minutie pour trouver les 48 cartes. Attention, une telle manipulation – même si elle a été prévue par les développeurs – peut occasionner des glitches, voire bloquer votre personnage dans le décor !
*VOUS SORTEZ DE LA SPOILER-ZONE – MERCI DE VOTRE VISITE…*
Sachez enfin que le jeu est sorti sur iOS mais que la jouabilité, requérant une certaine précision dans les donjons avancés, est extrêmement frustrante sur un écran tactile. A cela, vous pouvez rajouter un lag omniprésent sur iPhone 4, rendant le jeu injouable. N’ayant pas d’appareil plus récent, je ne peux me prononcer sur l’état de cette version sur iPhone 4S ou 5 (ou iPad).
Anodyne est un excellent petit action-RPG à la Zelda qui, s’il ne vous occupera pas des dizaines d’heures, marquera clairement de son empreinte votre parcours de joueur. Le jeu vous pousse à l’exploration ainsi qu’à l’expérimentation via le "swap" mais reste tout à fait accessible aux joueurs ne recherchant le "100% Complete".
(1) Non, ne cherchez pas la logique derrière ces mécaniques.
(2) Ah, les conventions du jeu-vidéo…