Dans la famille des BR, je demande le plus affuté

Genre phare de 2018, mais pourtant déjà largement saturé, la famille des Battle Royale n'a cessé de s'agrandir, accueillant toujours plus de rejetons, pas nécessairement bien portants. Largement dominé par Fornite et PUBG, l'année dernière recevait le mode Blackout de Call of Duty. Via un mode de jeu à part entière, Treyarch tentait une incursion légèrement plus arcade que le jeu de Bredan Green, dont l'aridité et la rigueur toute martiale n'avait pas franchement dépaysé les amateur d'ARMA. Mais au-delà de l'ouverture sur une nouvelle voie, ni trop arcade, ni trop "simu", la poule aux œufs d'or d'Activision rappelait que le genre n'avait pas à s'embourber dans des early access à rallonge. S'étriper dans la joie et la bonne humeur, sur un produit complet ayant bénéficié d'un bon coup de polish était mine de rien sacrément agréable.
Puis Respawn Entertainment, le frère ennemi, a sorti de nulle part Apex Legends.


Pour replacer brièvement le contexte, Respawn est né du cadavre d'Infinty Ward, le studio à l'origine de la petite série méconnue des Call of Duty. Le cycle infernal de publication, à raison d'un épisode annuel, avait rapidement nécessité la mise sur pied un studio-bis, Treyarch donc (suivez un peu bon sang). Souvent considéré comme l'ancien studio "grand frère" de Treyarch, Infinity Ward était coupable des épisodes les plus ambitieux, assurant une courbe d'intérêt en dents de scie. Ces dernières années ses développeurs, chapeautés par Vince Zampella et Jason West, ont été intégrés dans l'écurie Electronic Arts où ils ont développé le diptyque Titanfall. Malgré la proposition alléchante, puisqu'on parle toute de même d'un FPS multi arcade énervé avec un système de déplacements dynamiques et du pilotage de gros mechs, et leur grande qualité d'exécution, ces jeux connaîtront une exploitation en demi-teinte, plutôt décevante pour leur éditeur. On les savait plancher sur un nouveau FPS exploitant la licence Star Wars, mais on ignorait jusqu'à quelques jours avant la release d'Apex, que l'équipe travaillait également sur ce qui semblait n'être qu'un side project au doux relent d'opportunisme.


La méfiance qui me caractérise avait déjà ouvert ce procès d'intention. Certes, le studio qui a commis Apex Legends est un vétéran dans le pan-pan boom-boom. Certes, leur compétence en matière de game design et de level design n'est plus à prouver. Mais ce tardif coup de projecteur, particulièrement inhabituel dans l'industrie, est rarement de bon augure.
Quelques gigaoctets de données installées plus tard, mon expérience du genre en bandoulière, me voilà prêt à en découdre à la moindre incartade.
Un entrainement et une poignée de parties plus tard, j'étais conquis. Une dizaine d'heures plus tard, je ressortais d'Apex des étoiles plein les yeux, convaincu que nous ferons un bout de 2019 ensemble.


Ces petits astres qui impriment mes rétines, encore au moment de taper ces signes, ne sont aucunement imputables à une originalité brillante de cette nouvelle proposition de Battle Royale. Apex Legends pourrait être décrit grossièrement comme un mash up de tout ce que le FPS moderne a pu produire de meilleur ces dernières années. Tout dans ce jeu semble découler d'une analyse méticuleuse des points forts et points faibles des produits de la concurrence, qui, une fois liés par une tonne de petites idées brillantes, débouche sur un produit de synthèse inattaquable, à l'équilibre subtil.


De leur précédent ouvrage ne demeure qu'un vague cadre de mise en place : l'arène (pour le moment) unique d'Apex Legends est le théâtre d'un jeu télévisé ultra-brutal, divertissant les citoyens du monde de Titanfall. Le système de déplacement, entre glissades et parkour, est finalement épuré pour n'en conserver que les premières, saupoudrées de timides options verticales. Les titans tirent leur révérence. Pas de doute, les concessions sont faites pour l'accessibilité. Il suffit de quelques mises en jambe pour saisir l'ensemble des options de mobilités à notre portée et d'en jouir sans retenue, profitant des petites attentions du level design. De Titanfall on retrouve aussi, plus subtil, le gunfeel "à la Infinity Ward". On sent un recyclage opportun des animations et bruitages de Titanfall 2, qui rehaussait l'héritage pour le moins paintball-esque caractéristique des Call of Duty. Concrètement, souris en main, la plupart des armes ont un pattern de recul assez contenu, compensé par un couple animations / bruitages qui rehausse la sensation de tir et d'impact. Le modèle balistique retenu est finalement plutôt exigeant et demandera quelques heures de pratique pour une parfaite maîtrise des trajectoires paraboliques pour les plus longues portées.
Le TTK (Time To Kill) est quand à lui parfaitement équilibré.
Bien plus élevé que la moyenne de celui des autres Battle Royale, le compromis permet d'exiger des joueurs une bonne visée, tout en récompensant le bon usage des déplacements et l'utilisation du level design. Les échanges de plombs sont donc plutôt techniques et pas nécessairement perdus pour la victime du premier feu, ni sur un fameux "moule-shot" des familles.
On évite le syndrome du "Putain, mais d'où ça venait ?" qui agace tant en fin de partie et a tendance à favoriser l'installation en mode Quechua. Cette fois l'emphase est mise sur les options agressives, la passivité prolongée n'est pratiquement jamais récompensée.


Pour ce qui est du système de règles, Apex Legends ne déroge pas au canon des BR tels qu'on les connaît depuis quelques années. De toute façon, le projet de Respawn n'a pas pour vocation de bousculer les lignes et mettre à bas les institutions. Bien au contraire, il trouve sa voie et s’épanouît à travers elles. Sa seule véritable addition, le jeu la reprend d'Overwatch (qui la reprenait déjà de l'antique mod DOTA) : un système de personnages uniques aux capacités spéciales.


D'ailleurs, comme pour Overwatch, quelques minutes suffisent à déceler l'une des plus grandes qualité du jeu : le grand soin apporté à l'expérience utilisateur (UX).
Pour le moment forcées en escouades de trois joueurs, le jeu prévoit nombre d'aménagements pour encourager le teamplay. Je pense notamment à la pierre angulaire du système : la communication non-vocale, qui invite les joueurs au partage permanent d'informations. Une simple pression de bouton suffira à indiquer la position d'un loot à partager, un ennemi, un cap, des zones explorées par d'autres escouades ou tout simplement réclamer des munitions d'un certain type ou des accessoires manquants. Le système est adopté instantanément par les joueurs et s'avère être d'une efficacité redoutable, reléguant la communication vocale, pourtant primordiale dans un FPS coopératif, au rang de fonctionnalité complètement dispensable. Battlefield avait montré la voie, Respawn a creusé le gimmick au point d'en faire une feature majeure de son produit. Apex Legends est fun, même pour un joueur isolé. Miracle.
On appréciera également le squad jump facultatif, reléguant la responsabilité (transférable) du drop sur les épaules du parachutiste le plus aguerri, évitant une séparation bien souvent mortelle pour les joueurs les moins dégourdis, et à terme pour une escouade amputée un poil trop tôt.
Enfin, l'incorporation d'une mécanique de résurrection permet à une équipe bien mal partie de revenir dans le vif de l'action, sans toutefois saccager l’équilibrage du jeu. En effet, ressusciter ses coéquipiers demande de survivre seul (ce qui n'est clairement pas simple), récupérer leur dogtags puis actionner une balise de résurrection, devenant une cible facile pendant quelques secondes qui semblent parfois durer une éternité. Ne croyez pas qu'une fois cette opération réalisée vous aurez le cul sorti des ronces, puisque vos partenaires seront largués nus comme des vers et fort bruyamment, ce qui reviendrait à vous faire passer tous les trois pour des lapins de six semaines avec une cible sur les fesses. Un second souffle apprécié dans la cas d'un démarrage chaotique, rendant tout de suite moins inintéressant le visionnage parfois longuet de la cam des survivants. Tout en aménageant une opportunité pour des raiders de rayer définitivement une escouade de la partie. Malin.
Mais l'UX ne saurait être réduite à des considérations purement orientées vers le teamplay. C'est le confort de jeu de toutes et tous qui est globalement irréprochable.
La lisibilité de l'action est parfaite en tout instant, en dépit d'une direction artistique cell-shadé colorée et les pouvoirs des personnages. Côté feedback des échauffourées, Respawn a fait le service maximum : cartographie d'impacts pour les projectiles multiples, affichage des dégâts avec les couleurs correspondants au niveau d'armure (ou de couenne) entamée, explosion des protection (visuelle et sonore) pour indiquer la vulnérabilité de l'opposant, hitmarker ultra-lisible et kill confirm. L'assaillant mesure au fil des cartouche la violence de son attaque et sait en permanence comment faire évoluer sa stratégie s'il cherche le kill. Cette débauche d'informations tend à réduire une fois encore la frustration qui peut émerger de certaines situations, sans jamais déprécier la lisibilité de l'action. Je passerai assez rapidement sur la gestion intelligente des équipements par couleur et les automatisation qui améliorent foncièrement la qualité de vie, permettant de se consacrer davantage sur ce qu'il se passe ailleurs que dans un sac à dos plein à craquer.
Pour ne rien gâcher, Respawn livre une véritable version 1.00, très bien finie. Si l'on excepte quelques rares errements côté serveur (le jeu est victime de son succès), très peu de bugs sont à déplorer. On attendra juste patiemment que le contenu du jeu soit progressivement remplumé : pour le moment on ne peut jouer qu'en escouade de trois personnages tirés d'un roster de huit, et sur une seule et unique carte. Heureusement, une roadmap nous rassure déjà sur les ambitions à moyen terme du studio et de son éditeur.


L'autre grosse qualité d'Apex Legends réside dans sa maîtrise du pacing des parties, qui repose sur plusieurs éléments essentiels. Je parlais il y a quelques lignes de l'importance accordée aux agressions et le manque de viabilité des stratégies statiques, une des orientations du jeu qui permettent l'établissement d'un rythme plus soutenu et empêche le joueur de s'ennuyer et randonner sans croiser âme qui vive. L'excellent level design de la carte n'y est pas non plus étranger : par sa verticalité et ses nombreux goulets d'étranglement, le jeu encourage la mobilité en aires ouvertes, pour finalement faire se rencontrer les escouades lorsqu'elle se déplacent en direction des cercles intérieurs. Le curseur entre zones fermées et ouvertes semble idéalement placé, engendrant des points d'achoppements réguliers entre deux périodes de respiration, beaucoup plus paisibles.
Cette verticalité importante devient absolument indispensable stratégiquement, puisqu'à l'instar d'un Obi-Wan fin stratège, l'avantage du high ground permet aussi de conserver une importante mobilité, qu'elle soit glissante le long d'une pente ou le long d'une slackline jaune fluo. Enfin, des ballons régulièrement installés permettent un redéploiement risqué, qui permettra toutefois de s'éviter quelques traversées du désert si caractéristiques de bon nombres de parties sur un BR beaucoup plus classique.
Si je regrette l'absence de pénétration des balles dans différents types de matériaux, comme avait su l'incorporer Treyarch dans Blackout, ou l'absence de destruction des couverts, j'apprécie en revanche que les bicoques et autres protections d'infortune soient largement ajourées, permettant de brèves phases défensives, jamais franchement déséquilibrées.
Ainsi le rythme des parties se veut mieux maîtrisé, alternant décharges d'adrénalines régulières et montée en pression progressive jusqu'au bouquet final, qu'il soit Winner Winner Chicken Dinner, ou pas.


S'il n'est pas d'une inventivité folle, Apex Legends se hisse quelques coudées au-dessus de la concurrence féroce des Battle Royale. Et le succès fulgurant du jeu me semble être une évidence quand on dénombre les qualités intrinsèques du jeu. Considérant son modèle économique et le fait que sa cible est peut-être un peu plus inclusive, en témoigne ma friendlist de trentenaires et quadras grincheux qui s'y amusent comme des petits fous, le soft semble parti pour égratigner la fanbase du titan Fortnite. Et c'est tout le mal que je lui souhaite.
Moins arcade, plus exigeant et dépourvu de construction, la dernière production de Respawn Entertainment se concentre sur de sérieux atouts côté gunplay, une UX et un pacing qui, je l'espère, feront écho chez la concurrence. Parfaitement imperméable au système de lootboxes et l'addiction qu'il peut générer, je relance fébrilement partie sur partie, à la recherche d'une odeur âcre de poudre en pleine montée d'adrénaline et de combats qui me laissent exsangue mais victorieux.
Nul doute qu'Apex figurera dans le tiercé de mes jeux les plus poncés en 2019, l'année commence fort.

YvesSignal
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le 12 févr. 2019

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Yves_Signal

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