Tellement de jeux et si peu de temps (et d'argent ?) pour en profiter... C'est la principale raison qui m'a maintenu éloigné de la série phare d'Ubisoft durant toutes ces années: lorsque j'eus enfin acquis une PS3 courant 2010, les Assassin's Creed étaient déjà en train de se transformer en saga fleuve surexploitée. L'idée de dépenser mes 60 boules annuelles pour profiter d'un scénario qui n'aura probablement jamais de fin ne m'enchantait et ne m'enchante toujours pas des masses. Et devoir débuter par un épisode particulièrement pointé du doigt pour sa répétitivité abusive avait fini de me convaincre de ne jamais y toucher...
Et puis, il y a ce cousin qui propose innocemment de me prêter la bête, le sourire du démon camouflé en ange au coin des lèvres.
L'insatiable curiosité qui me pousse à découvrir toujours plus de culture vidéoludique.
Et ce putain de contexte médiéval, l'une de mes périodes historiques préférées.
Non, vraiment, tu veux pas essayer ? Vraiment, vraiment ?
En fin de compte, j'avais eu du flair: après une première moitié de jeu agréable, l'expérience s'est terminée dans la douleur et la rage. Je vais tenter d'expliquer pourquoi.
L'aspect graphique m'a tout d'abord particulièrement impressionné. 2007 ? Les tous débuts de la PS3, sans déconner ? Mais c'est encore beau ! Assassin's Creed affiche une réalisation qui dégage un véritable souffle artistique. Ainsi de ma première arrivée à Damas, sur une falaise qui surplombe les hauts murs qui ceinturent la ville. C'est grand, c'est classe, ça claque. 7 ans après, tout de même ! Les villes sont grouillantes de monde, dépaysantes, jalonnées de cathédrales, de mosquées et autres hôpitaux majestueux que nous sommes constamment invité à escalader. Je me suis lancé dans une exploration gratuite, un trip en partie contemplatif qui était pour moi l'un des principaux intérêts du jeu: voyager dans le temps et admirer un monde disparu merveilleusement reconstitué par la grâce des polygones.
Pour y parvenir, j'avais mis toutes les chances de mon côté: HUD à zéro. Un écran complètement vierge de toute indication. J'ai d'ailleurs découvert plus tard que c'était le conseil du réalisateur du jeu à tous ceux qui voulaient vraiment profiter de son bébé. Pour me repérer en ville, mon sens de l'observation, le soleil à l'Est et une bonne dose de patience. C'est ce qui s'appelle s'impliquer, mais c'est devenu une seconde nature dans ma vie de gamer tant je ne conçois plus de jouer avec les milliers d'aides qu'on fourgue à un joueur de plus en plus infantilisé. Du coup, la durée de vie du soft a facilement été multipliée par deux. Pas de soucis, j'avais le temps d'errer et de respirer. Mais aussi celui d'être enterré vivant par une montagne de défauts de plus en plus présents à mesure de mon avancée.
Répétitivité abrutissante. Tel est le véritable credo des Assassins. S'asseoir sur un banc pour écouter une conversation. Tabasser mollement un mec pour avoir un renseignement. Marcher derrière un keum pour lui voler une lettre. Aider un de nos compagnons parkoureurs à tuer trois ou quatre sous-fifres. Voilà ce que le jeu appelle « préparation d'assassinat ». Inutile de dire que j'étais loin de frôler l'orgasme en répétant ces actions environ une vingtaine de fois. C'est le minimum, mais le jeu vous invite à en faire le double pour avoir vraiment plein de chouettes renseignements à moitié inutiles pour votre assassinat. Inutiles car on ne se sent pas davantage dans la peau de l'Assassin Altaïr en checkant toutes les missions comme on barre les éléments d'une liste de course. C'est bien plus gratifiant de tomber sur ces missions à moitié par hasard et de se contenter de ce que l'on a. De plus, les assassinats à venir sont bien plus intéressants et « réalistes » lorsqu'on improvise son approche. Parce que, franchement, systématiquement découvrir un papier qui nous indique l'emplacement des gardes...
Les assassinats sont donc les seuls moments du jeu qui sortent légèrement de l'horrible routine. Mais c'est pas folichon non plus. Ridiculement faciles au début, et incroyablement chiants (à cause d'une surabondance de gardes) à la fin, je ne retiendrai finalement qu'une seule de ces 9 séquences, l'avant-dernière, qui se passe dans un port et offre donc un level design bien pensé pour une approche tout en subtilité. Car le reste du temps, la subtilité... connait pas ! Vous arrivez au lieu où réside votre cible. Systématiquement, vous la voyez se donner en spectacle, la plupart du temps en supprimant violemment un pauvre innocent pour bien montrer à Altaïr que sa cible est vraiment une grosse crevure qui mérite qu'on lui plonge des tisons ardents dans l'anus. Ce qu'Altaïr finit par faire. Au moment d'expirer, la victime se confesse et, surprise !, on apprend que celle-ci n'était peut-être pas si mauvaise que ça. Les première fois, j'adhérais: on évite le manichéisme et on nourrit la psychologie d'Altaïr à travers ses doutes qui minent peu à peu son orgueilleuse personnalité. Sauf que le schéma des assassinats est TOUJOURS identique. Grosse crevure et puis non, en fait, pas si méchant. 9 fois. La gimmick devient ridicule et les nobles ambitions scénaristiques se transforment presque en moment de rigolade.
Après, c'est à peu près tout. Allers-retours innombrables entre les trois villes et la citadelle de votre maitre qui veut que vous lui fassiez un compte-rendu pratiquement identique à chaque fois (« Maitre, je doute » « Mais non, mais non, Altaïr, ferme ta gueule »). Mec qui accoste Altair en lui disant la même phrase qui mène à un entrainement à l'arme. Encore et toujours ces voyages entre les villes séparées par un monde semi-ouvert. Arrivée en ville et recherche des missions, toujours identiques, menant à un nouvel assassinat qui se finira de la même façon. Peu à peu, le trip disparaissait. La ville n'est pas vivante. Les habitants ne font que marcher ou rester debout immobiles. Deux exceptions à ça: les fous qui vous poussent vers les gardes et les mendiantes qui débitent le même monologue du début à la fin du jeu. « Vous ne voyez donc pas que je crève de faim ? Je suis pauuuuvre, j'ai besoin d'argent. Non, s'il vous plait, ne partez pas ! ». En boucle ! Mais va travailler, PUTAIN !
Plus le jeu avance, plus il y a de ces mendiantes et de ces fous. Et plus il y a de gardes. Et donc les fous ont de plus en plus de chance de vous pousser sur ces gardes qui se mettront alors à vous poursuivre. Vous vous trimballez tout le jeu avec une immense épée et un capuchon blanc mais non, c'est quand un fou vous pousse que ça fait tilt chez eux. Plus il y a de gardes et plus les courses-poursuites s'éternisent. Je passe la majeure partie du temps à m'enfuir. Plus possible de se cacher. De plus en plus de fous, de mendiantes et de gardes. Finalement, la moitié de la ville me pousse, me demande de l'argent ou me court après. Gnnnnn.... Tenir bon, tenir bon.
Je rétablis le HUD. De toute façon, je ne m'amuse plus. Disposant maintenant d'un indicateur d'alerte, je me fais moins repérer par les gardes. C'est plus respirable mais l'ambiance sonore devient insupportable. Quelques musiques sympas qui ne se renouvellent pas. Un type qui fait un discours dans plusieurs endroits de la ville, dans toutes les villes, en même temps. Même voix et même discours: « Sheitan est partouuuut, mes amis ! ». Alors c'est toi, Sheitan, mec, c'est pas possible autrement ! Je tiens bon, je tiens bon je « Vous ne voyez donc pas que je crève de faim ? » Course poursuite interminable, combats mous, « Sheitan est partoooouut ! » allers-retours, assassinat « Crève de faim ! Crècrècrève de faim !» et... plantage du jeu. Je dois recommencer le dernier assassinat depuis le début. Gnnnnnn...
J'ai craqué.
J'ai gueulé, insulté ma console, ma mère et l'univers, j'ai rangé le jeu dans sa boite et j'ai commencé à comploter la mort de mon cousin. Malheureusement, Assassin's Creed étant tout sauf une simulation d'assassinat, je n'ai rien pu faire. Je me suis donc calmé pendant 2 semaines et j'ai recommencé. Et j'ai fini.
Arrivés à ce point du compte-rendu, vous devez vous dire que c'est le pire jeu auquel j'ai jamais touché, la peste et le djihad réunis et que je ne rêve que d'oublier cette horreur. Et pourtant... Maintenant que la colère est passée, je repense à certains moments particulièrement réussis, comme la fois où j'ai grimpé jusqu'au sommet de la plus haute cathédrale et que j'ai pu tutoyer la courbure de la Terre. Ou l'unique fois où un garde m'a bizarrement demandé grâce en déposant les armes... ce que je n'ai pu lui refuser, troublé par ce moment d'humanité. Il y a encore ces dialogues qui se veulent philosophiques. Je dois avouer que certains sont bien écrits et font mouche, jusqu'à m'avoir donné envie de jouer à Assassin's Creed II (qui résout pas mal de défauts de ce premier opus apparemment). En fait, l'idée de base du scénario était plutôt pas mal, avec un mélange d'Histoire, de science-fiction et de spiritualité. Dommage que le tout soit noyé dans d'immenses phases de gameplay répétitives, et que le jeu ne raconte en définitive pas grand chose.
Enfin, les phases se déroulant de nos jours, dans le corps de Desmond, sont loin d'être aussi horribles que je l'avais craint. Non, elles ne servent pas qu'à voir Desmond dormir, mais sont l'occasion d'une enquête totalement optionnelle sur les motivations d'Abstergo, la société qui oblige Desmond à revivre les souvenirs de son ancêtre via la machine nommée Animus. Cette enquête optionnelle est tellement facile à manquer que, je dois l'avouer, j'ai jubilé en découvrant tout seul comme un grand comment y accéder. De plus, ces phases dans le présent ont le mérite de donner une cohérence formelle totale au jeu vidéo: les personnages qui parlent français à Jerusalem, les enquêtes optionnelles qui ne changent rien aux connaissances d'Altair au sujet de sa cible, la capacité de mourir et de recommencer plusieurs fois une séquence... Tout cela est justifié par le fait que nous ne sommes pas dans la réalité à ce moment mais dans une simulation informatique qui recréé presque fidèlement la vie d'Altaïr. Presque. Cette petite imprécision constitue votre mince espace de liberté durant le jeu (les assassinats peuvent parfois proposer plusieurs approches). Tout le monde a pesté contre cet état de fait, moi je dis que lorsque cette cohérence formelle rejoint le propos du scénario du jeu (l'illusion...), on atteint là à une véritable leçon d'harmonie ludo-narrative comme on en rencontre dans très peu de jeux.
Tout bien réfléchi, j'ai kiffé Assassin's Creed. Non, je déconne, j'y jouerai plus jamais, à celui-là. Mais j'ai envie de tâter au moins encore un épisode pour voir si la plupart des défauts insupportables de ce premier opus sont vraiment résolus.
Je pense qu'on aurait pu avoir un grand jeu. Au lieu de ça, on n'a eu que le squelette d'un mort-né. Une saga longuement pensée et bien maitrisée aurait pu corriger la donne. Hélas, j'avoue craindre le pire quand je vois les visées commerciales aberrantes d'Ubi Soft qui semble bien décidé à exploiter tous les pays et toutes les périodes historiques du système solaire. Bah, tant qu'on évite un Assassin's Creed sur la banquise ! Hahahahahah... ha ?