La logique mathématique veut que « - » et « - » fassent « + ». Par conséquent, un jeu vidéo pas très connu sur une console pas très populaire non plus, ça devrait faire un gros hit ? Non ? Vie cruelle. Dans la peau d’Aveline de Grandpré, parcourez la Nouvelle-Orléans en quête de liberté pour les esclaves. En effet, et c'est le gros point fort du jeu se situe d’entrée de jeu ici, Assassin’s Creed Liberation traite de sujets trop tabous dans le jeu vidéo mainstream comme l’esclavagisme. Il y aura bien l’extension Freedom, pour Assassin’s Creed IV Black Flag qui retentera le coup quelques années plus tard mais sans guère plus de célébrité. Le fait d’incarner une jeune métisse noble de la Nouvelle-Orléans qui tente de libérer ses frères a quelque chose de très rafraîchissant.
Alors, cette Aveline, qui est-elle ? Une métisse, père français et mère africaine (on retiendra la nécessité de préciser le pays quand on parle de l’Europe à la différence de l’Afrique), qui perd sa mère étant jeune. Elle égare sa mère, dans une scène qui sert de tutoriel minimaliste (déplacement, caméra, courir) un jour de marché aux esclaves. La scène est d’ailleurs assez étrange ; elle est séparée on ne comprend pas vraiment comment de sa mère, se fait poursuivre par quelques bandits, tombe devant un marché aux esclaves et fin de la scène. C’était assez brusque mais bref. On retrouve Aveline après une ellipse, maintenant âgée de l’âge des héros d’Assassin’s Creed. On comprend bien vite que son éducation dans l’aristocratie de la Nouvelle-Orléans lui a fait comprendre l’atrocité qu’est l’esclavage, ce qui explique sa volonté à sauver ceux qu’elle peut grâce… à son entraînement d’assassin. C’est une première dans la série, si je ne m’abuse et passé le cas un peu particulier du premier, mais l’entraînement d’assassin du personnage-joueur est totalement éclipsé dans cet opus et c’est très perturbant. Le jeu tentera bien de nous l’expliquer lors des cinématiques avec son mentor mais ça ne passe pas vraiment. Lors d’un énième sauvetage, l’élément perturbateur arrive : des esclaves disparaissent. De là, sans grande surprise, on découvre que les Templiers ont infiltré la Nouvelle-Orléans et qui mènent des opérations. La suite, je ne la dirai pas par spoil, même si tout le monde la voit venir à 1000 mètres. Mention spéciale à la fin, qui réserve une surprise post-générique. De plus, cette surprise prend lieu dans un espace abstrait, constitués d’éléments du décor d’époque mais sur fond d’animus, le tout sa(/e)ns dessus-dessous et ça, j’ai grave aimé. Je suis très fan de ce genre d’environnement et le fait que ça se termine sur ça m’a beaucoup plu. Le jeu réserve une autre surpris de taille, qui m’a tout autant plu, mais je ne dirai si ce n’est « cross-over ». L’histoire, vous l’avez compris, est extrêmement classique mais ça en soit, ce n’est pas un problème. Le problème, c’est le côté poussif de cette dernière. Chaque chapitre est calqué sur le même schéma ou presque, avec ce côté très redondant de « tu m’as tué mais en fait ce n’est pas moi qui tu cherchais tu devrais aller voir-urgh, je meurs. » Lourd, très lourd. Le point fort de l’histoire, et du jeu j’y reviens, c’est son personnage principal : Aveline de Grandpré. Femme forte et fragile, pas sexualisée pour un sou, à la fois sûre d’elle mais aussi avec ses moments de doutes, elle est même un peu sentimentale sur les bords. En fait, Aveline ne se définit pas tant par son sexe, ce qui est une bonne chose, ni même par sa condition de métisse, mais par son côté orphelin. En effet, la perte de sa mère, son mentor un peu trop extrême à son goût, ses amis qui en attendent trop d’elle, etc… Elle cherche tout le long une figure qui peut l’inspirer. On n’est nullement ici dans une question de sexisme mais bien d’identité. Ca aurait pu une bonne chose, et dans les faits c’est le cas sauf que du coup, le jeu passe un peu à côté de la condition particulière d’Aveline, à savoir femme métisse. Je demande pas qu’Aveline mette en avant toutes les cinq minutes sa condition de femme et/ou de métisse, mais un peu plus le faire aurait donné à cet Assassin’s Creed Liberation un côté un poil plus militant qui aurait été bienvenue. C’est ce qui est le plus regrettable et ce qui a le plus à dire sur cet Assassin’s Creed : il a commencé à porter quelque chose qu’il n’a pas su tenir sur la longueur du jeu. C’est dommage : pas mauvais pour autant.
Je ne vais pas revenir sur le core gameplay d’un Assassin’s Creed ; courir, grimper, sauter, saut de la foi, assassinat, etc. Tout ça est porté à merveille dans cet opus. En tant que spin-off du 3°volet, Liberation bénéficie du free-run dans les arbres, qui marche parfaitement, il faut le signaler. Même le côté gestion, cette partie du jeu qui semble être obligatoire depuis le deuxième opus, est présent au travers d’un commerce marin de ressources. Amusant d’ailleurs que d’un port à l’autre, il existe le facteur « pirate » pouvant faire capoter notre transaction ; on les déteste dans cet opus, mais on les joue et adore dans le suivant. Je vais plutôt parler des quelques spécificités et notamment de la plus grande : les costumes. Clairement, c’est sous-exploité à mon goût mais ça reste une très bonne idée. Aveline peut, à peu près tout le temps, se rendre dans une boutique de vêtement pour changer de tenues. Par défaut, elle porte celle des assassins, mais elle peut revêtir une apparence d’esclave ou une tenue d’aristocrate. On passera sur le petit côté cosmétique qui nous permet de changer les couleurs de chaque tenue. Chacune d’entre elles a des caractéristiques. En vrac, celle des assassins permet le gameplay par défaut, avec ce que ça comporte de bonus (déplacement, combat, etc.) et de malus (repérée plus vite), en esclave, Aveline peut se déplacement « normalement », aller partout sans attirer l’attention (ou presque mais nous allons en reparler) mais ne peut qu’avoir une arme légère. Enfin, en noble, elle ne peut pas que trottiner (pas de grimpette), pas attaquer directement (le joueur débloquera une ombrelle-lanceuse de fléchettes plus tard dans le jeu) et se fait attaquer dans les quartiers mal famés du jeu. Le seul bonus est de pouvoir séduire les gardes, pour les déplacer et assommer à l’abri, et les gentilshommes, pour les voler. Vous l’aurez compris, on ne revêt que la tenue de noble quand c’est obligatoire. Même le petit détail intéressant, de se faire agresser par des bandits, n’est pas vraiment palpable (je ne m’en suis rendu compte qu’à la fin du jeu). La tenue d’assassin n’a rien de spécial pour elle, c’est le gameplay normal. Non, ce qui est bien plus intéressant c’est la tenue d’esclave. Quand je dis qu’elle permet de passer inaperçu, ce n’est pas tout à fait vrai. De base si, tout comme la noble, l’esclave permet de partir de 0 en ce qui concerne la jauge de recherche, là où celle d’assassin est à 1 sur 4 au minimum. Mais l’esclave peut circuler dans les zones interdites si elle porte une caisse. Le joueur, dans cette tenue, doit aller chercher des caisses qui traînent, appuyer sur un bouton pour la porter et alors seulement il pourra passer les gardes. Voilà le genre de mécanique qui rentre en résonance avec l’histoire du jeu. Bien moins exploitée, existe aussi le système de « semer la révolte » ; en tant qu’esclave, vous pouvez aller voir des petits groupes d’esclaves dans la rue et les convaincre de se révolter. Au bout de trois groupes convaincus, chose qui ne se fait qu’avec une pression de bouton, la bagarre se déclenche avec les gardes et libre à vous de passer comme bon vous semble. Malheureusement, tout comme l’histoire, ça ne va pas plus loin. Il n’existe pas d’autres mécaniques basées sur la condition d’esclave. Là aussi, ce n’est pas mauvais, c’est juste dommage. Comme dit, le reste du gameplay n’a rien de notable.
Techniquement, le jeu s’en sort avec les honneurs. Comme souvent, les portables de Sony sont largement sous-estimées. Mais si Assassin’s Creed Bloodlines reste un mauvais souvenir en parti à cause de sa technique à la ramasse, Liberation aurait pu être l’épisode 3 principal que ça ne m’aurait pas gêné. Certes, pas de gestion de la météo, de la faune, pas de particules et autre effet qui font bien, mais les textures sont propres, les animations fonctionnent sans accroc, le framerate n’est jamais descendu et les zones sont suffisamment grande pour procurer la sensation de liberté, chère à la série. Mention spéciale au bayou, qui est vraiment une zone riche et divertissante avec tous ces arbres qui se tordent. Au niveau du son, rien à redire : le doublage français est correct sans plus, les bruitages sont convaincants. Les musiques, sans être mauvaises, sont loin d’être mémorables.
En guise de conclusion, un petit mot sur la portée historique de cet opus. Il est vrai que depuis le premier Assassin’s Creed, il est de coutume que chaque opus enseigne au joueur quelques pans de l’Histoire. Si Liberation m’a rappelé quelques trucs, comme le fait que la Nouvelle-Orléans a été un temps sous gouvernement espagnol, je suis resté sur ma faim. Chaque Assassin’s Creed propose, dans son menu pause, une encyclopédie historique sur les éléments du jeu. Absente ici. Ca pourrait résumer le jeu : une proposition intéressant, de très bonnes idées, mais qui ne vont jamais au bout, qui ne creusent jamais. Peut-on en vouloir, à cet opus qui ne se destinait qu’à la base à la petite oubliée Playstation VITA ? Oui, clairement. Les jeux sur portables (smartphones et consoles) ne doivent plus être considérés comme des « petits jeux ». Que leur portée soit réduire car l’appareil est moins répandu (dans le cas des consoles portables et surtout dans le cas de la VITA) oui, mais la qualité et la pertinence du jeu ne doit pas en pâtir. J’en veux pour preuve tous les excellents jeux, profonds et intelligents, que ça soit sur 3DS, VITA ou Android. Liberation n’en reste pas moins un bon Assassin’s Creed, qui se fait sans difficulté ; on regrette juste que le jeu ne soit pas allé au bout.
PS : ah oui, le côté « contemporain » des Assassin’s Creed, Desmond, la prophétie, tout ça. Inexistant à ceci près que, bien avant Black Flag, le jeu se veut une mise en abyme de notre condition de joueur. Le jeu commence avec quelque chose comme « Merci d’avoir acheté ce nouveau programme de Assassin’s Creed, proposé par Abstergo. Ce programme vous met dans la peau d’Aveline[…] ». Puis, plus rien.