Le trophée platine d'Assassin's Creed Syndicate en poche depuis deux jours, il est temps pour moi de vous partager mon avis, motivé je l'admets par l'excellente moyenne qu'obtient actuellement ce jeu et qui est, à mes yeux, totalement imméritée. Car maintenant que j'ai parcouru de long en large et en travers le dernier-né de la série d'Ubisoft, un fait indéniable m'apparaît clairement : Syndicate, bien que plaisant, est assurément l'un des plus mauvais épisodes de la saga. Laissez-moi vous conter pourquoi :
(Bon, là, après une phrase comme ça, il aurait été classe que Anvil of Crom de Basil Poledouris se lance, mais à l'écrit, c'est compliqué !)
Assassin's Creed Unity, qu'on l'aime ou non, avait initié deux aspects qui chacun à leur manière ont grandement amélioré l'expérience Assassin's Creed :
- D'une part, la nouvelle façon de gérer les montées et les descentes lors des wall runs. Pour m'être remis hier à Assassin's Creed IV : Black Flag, je peux vous assurer que cela change la vie d'avoir à maintenir croix avec R2 si l'on veut grimper et rond avec R2 si l'on veut descendre d'un pan de mur. Dans les précédents Assassin's Creed, courir se faisait avec la touche R1 mais c'était également la touche que l'on devait maintenir pour grimper sur des éléments du décor. Et qui n'a pas pesté lors d'une course-poursuite sur Altaïr, Ezio ou encore Edward grimpant à un mur que l'on a à peine effleuré alors qu'on ne le souhaitait pas ? Là-dessus, Unity a été une véritable bouffée d'air frais.
- D'autre part, Unity avait fait le pari d'inciter les joueurs à privilégier grandement la discrétion plutôt que le choix des armes en rendant dangereux la situation dans laquelle Arno se trouverait s'il était entouré de plusieurs ennemis. En d'autres termes, foncer dans le tas dans Unity amenait bien souvent à une mort certaine, ce qui correspondait sans nul doute à l'esprit du jeu puisqu'un assassin est un homme de l'ombre, et non Conan le Barbare équipé d'Excalibur.
De fait, en comparaison de Unity, Syndicate a un défaut qui frappe d'emblée dès les premières heures de jeu : il reprend à son compte seulement l'un de ces deux aspects, mais bien plus imparfaitement. Car en effet, il m'est arrivé plus d'une fois d'avoir du mal à grimper ou descendre d'un élément du décor dans des moments où, on ne sait trop pourquoi, le diptyque "R2 + croix" et "R2 + rond" est inversé. Un exemple tout bête : lors de deux missions distinctes, j'ai eu affaire sur mon chemin à deux barrières arrivant à mi-hauteur de mon personnage ; la logique voudrait que je doive presser "R2 + croix" pour sauter par-dessus et continuer ma course. Dans un cas, c'est ce qu'il s'est passé. Dans l'autre cas, cela n'a pas marché. Il a fallu en effet que je presse "R2 + rond" pour SAUTER par-dessus cette foutue barrière. Avouez que ça paraît débile dit comme ça. Alors certes, ce genre de mésaventure n'arrive pas souvent, et je ne doute pas qu'il s'agisse tout simplement d'une mauvaise programmation de certains éléments du décor corrigeable à coup de patchs, mais en l'état Syndicate a un problème que Unity n'a jamais eu.
Et, pour continuer sur la partie grimpette des Frye dans les rues de Londres, il faut mentionner l'une des nouveautés de ce Syndicate qui elle aussi a un sérieux problème de programmation : le grappin. Dans l'idée, cet ajout est le bienvenu. On sent l'inspiration des Batman Arkham, ce qui n'est pas la pire des références vu la qualité monstrueuse des jeux de Rocksteady. Seulement, c'est bien beau de s'en inspirer, mais encore aurait-il fallu rendre ce grappin aussi efficace et plaisant à utiliser qu'entre les mains de Batou ; or, là, ce n'est pas le cas. La faute à l'obligation d'avoir à coller un bâtiment pour voir apparaître L1 (signal indiquant au joueur qu'il peut utiliser son grappin) dans la partie supérieure du HUB, mais également à l'absence d'un système de visée efficace - par exemple via le maintien d'un bouton comme avec son flingue - rendant totalement arbitraire la façon dont on se balance de toit en toit. A qui n'est-il pas arrivé de regarder devant soi en voulant se balancer sur le toit nous faisant face, de voir L1 apparaître, de presser la touche, et d'avoir la (mauvaise) surprise de voir son personnage s'agripper à l'élément du décor dans son dos ? Horriblement frustrant. D'autant plus que le grappin ne peut être utilisé que quand vous êtes à l'arrêt, donc inutilisable sur le toit d'une calèche ou d'un train... "WTF ?!" comme dirait l'autre.
Ces deux critiques relèvent surtout du plus grand défaut à mes yeux de cet Assassin's Creed Syndicate ; ce qui vous apparaît clairement et vous saute aux yeux de la première séquence à la dernière : un énorme manque de finition. Pour ma part, je n'ai cessé tout du long de me dire qu'à force de vouloir maintenir le rendement d'un Assassin's Creed par an dans les bacs, les équipes d'Ubisoft finiraient par manquer de temps pour peaufiner un opus, et que cet opus était celui que j'avais sous les yeux tant il aurait mérité six mois de plus dans les studios d'Ubisoft Québec pour parfaire la formule. J'en veux pour preuve les très, très, très nombreux bugs de script, qualifiés "d'erratiques" par le testeur de jeuxvideo.com, et qui sont bien réels. A maintes reprises, j'ai dû relancer une mission en cours parce qu'un script ne se lançait pas et que la situation était bloquée. Parfois même, il a fallu que je relance trois ou quatre fois ladite mission pour la voir avancer parce qu'un PNJ que l'on devait suivre s'arrêtait en plein milieu d'une rue, ne se dirigeant plus vers la destination à laquelle il était sensé se rendre. Bref, Syndicate est pétri de bugs dans sa forme actuelle (la 1.11 à l'heure où j'écris ces lignes), et cela n'arrange en rien son affaire.
Ce manque de finition se ressent sur bien d'autres détails : si l'on pourra passer outre le manque de synchronisation labiale lors de certains dialogues, que dire du travail de traduction qui nous laisse pantois devant un jeu dont les voix sont tantôt anglaises, tantôt françaises ? Je veux bien que l'on soit à Londres, mais croiser dans la même rue un gamin parlant anglais et un marchand parlant français, excusez-moi du peu, mais côté immersion on repassera. Pourquoi ne pas avoir tout simplement traduit l'ensemble des voix pour plus de cohérence ? Ou alors, si la volonté des développeurs étaient de vous faire vous sentir dans les rues de Londres, pourquoi ne pas laisser tout en anglais, quitte à rajouter des sous-titres pour les moins shakespeariens d'entre nous ? Notez que ce n'est pas la première fois que cela arrive puisque déjà dans Black Flag nous avions cette sorte de "franglais" comme langue principale, mais dans une mesure nettement moindre. Ici, on atteint des sommets jamais inégalés de localisation bâclée.
Je disais précédemment en comparant Syndicate à Unity qu'une seule des deux nouveautés avait été reprise par les développeurs. Vous comprendrez donc que j'insinue l'idée que l'aspect tactique et discrétion de Unity est totalement inexistant dans Syndicate qui régresse sur ce point pour revenir à un jeu nettement plus bourrin dans lequel la voie des armes est trop aisément privilégiée. C'est assurément le second défaut le plus impardonnable à mon goût, car malgré tous les efforts des développeurs de nous proposer diverses approches d'infiltration pour arriver à liquider une cible, bien souvent il suffit de lui foncer dans le lard pour en terminer avec la mission en cours, rendant en fin de compte le jeu beaucoup trop facile (vous voyez une autre explication sur le fait que j'ai réussi à obtenir le trophée platine de Syndicate en cinq jours et demi là où il m'en a fallu quatorze, avec le même temps de jeu, pour obtenir celui de Unity ?).
Comprenez-moi bien : Assassin's Creed Syndicate n'est pas un mauvais jeu, mais il est décevant dans la mesure où tous les éléments sont en place pour en faire un grand jeu. Or, ce manque de finition doublé d'une trop grande facilité à casser du soldat anglais empêche ces éléments de s'accointer parfaitement les uns aux autres, Ubisoft Québec n'ayant pas réussi à trouver le juste équilibre que l'on pouvait avoir dans Unity ou, pour remonter plus loin, dans Assassin's Creed II. Les ficelles ne sont pas suffisamment travaillées pour que l'on ait à leur obéir, et la possibilité de passer outre les directives de la mission rend complètement caduc l'essence-même de ce qui fait d'un Assassin's Creed un Assassin's Creed. Ce qui est d'autant plus dommageable que Syndicate corrige l'un des défauts majeurs de la série depuis Black Flag en tissant une trame narrative foutrement plus intéressante que celle de Unity malgré des personnages caricaturaux et pas suffisamment travaillés (l'histoire d'amour d'Evie clichée à souhait, le tempérament de Jacob monolithique au possible), notamment en faisant intervenir dans la diégèse Junon, réenquillant donc sur l'histoire au temps présent telle qu'elle avait été laissée dans Assassin's Creed III. Une histoire moderne qu'Ubisoft n'a jamais su bien raconter, mais dont aimerait avoir les tenants et les aboutissants après avoir parcouru tant d'aventures dans la peau de Desmond Miles. Syndicate a le mérite de relancer la machine, et c'est tant mieux.
Je terminerai sur l'aspect technique du soft, qui hélas déçoit également. Non pas que le jeu soit moins beau que le précédent (encore que j'ai préféré les décors du Paris révolutionnaire au Londres industrialisé, mais là c'est un point de vue personnel), mais force est de constater que la distance d'affichage a été nettement amoindrie - certainement pour éviter les problèmes de fluidité rencontrés dans Unity - et qu'il y a bien moins de PNJ s'affairant à leur petite vie dans les travées londoniennes là où Unity impressionnait par la densité de sa population. De fait, Unity m'avait mis une claque de ce point de vue, Syndicate ne m'en a jamais mis une seule. Sur aucun plan d'ailleurs - tout au plus une mini-claque via son OST, l'une des meilleures de la franchise, mais hélas bien trop discrète lors des phases d'exploration. Pas plus que sur ces phases de calèche justifiant également une densité démographique décrue, au final peu intéressantes et mal calibrées.
Assassin's Creed Syndicate ne m'aura pas laissé un souvenir impérissable, mais ses qualités sont évidentes. Seulement on régresse dans tellement d'aspects que ma déception est conséquente. J'en viens à penser qu'un rythme d'un opus par an ne peut pas être soutenu par Ubisoft qui devrait prendre une année de plus pour parfaire leur soft sous peine d'user jusqu'à la moelle la patience de joueurs qui finiront par en avoir marre de casser leur tirelire pour des jeux mal fignolés. Car, en l'état, je suis catégorique : Syndicate ne vaut clairement pas les 60 € que l'on nous réclame.